Dans le cadre des « Lundi de l’IE », organisés par le Cercle d’Intelligence Économique du Pôle Léonard de Vinci, Jean-Paul Delahaye a donné une conférence sur le thème « Monnaies cryptographiques et blockchain : où en sommes-nous ? ». L’occasion d’aborder notamment six problèmes autour du Bitcoin.
Monnaies cryptographiques, Bitcoin, Ethereum, blockchains publiques et privées, minage, smart-contract, ICO, etc. Les événements se succèdent à grande vitesse sur ces sujets liés les uns aux autres mais dont il est assez difficile de suivre tous les développements et toutes les péripéties. Jean-Paul Delahaye a identifié six limites à la plus renommée des cryptomonnaies.
La volatilité du Bitcoin
Depuis sa création en 2009, le cours du Bitcoin a atteint des sommets, jusqu’à un record de plus de 19 000€ en décembre 2017. Jean-Paul Delahaye considère que cette spéculation est déraisonnable. Beaucoup estiment que le Bitcoin est une bulle, destinée à éclater.
L’impossibilité de réaliser des micro-achats
Le nombre de transactions trop faible autorisé, de 5 à 10 par secondes seulement, mène à une saturation du réseau. Lorsqu’un individu souhaite envoyer une transaction sur le réseau, il peut y associer une commission qui sera attribuée aux mineurs, pour la page rajoutée à la blockchain. Jean-Paul Delahaye distingue deux conséquences à ce système de commissions. Si les individus n’ajoutent pas de commission à une transaction, ou en associent une jugée trop faible par les mineurs, celles-ci seront mises en attente. Elles seront certes passées sur le réseau mais ne seront pas encore inscrites dans une page et rajoutées à la blockchain. La mise en attente est potentiellement infinie.
En outre, les commissions associées à une transaction ne sont pas proportionnelles à la somme déplacée mais à la taille de la chaîne. Que l’on déplace un million de dollars ou que l’on achète une baguette de pain, il faudra associer une commission de 5 à 10$. Cela rend donc inenvisageable l’achat de produits de consommation courante, de petite valeur.
Jean-Paul Delahaye a identifié deux solutions possibles pour remédier au faible nombre de transactions. Les sidechains, qui seraient connectées à la blockchain du Bitcoin, mais demeureraient indépendantes. Une autre solution plus ambitieuse consisterait à développer un système de transactions entre des détenteurs de Bitcoins qui ne nécessiteraient pas d’écriture sur la blockchain
Les attaques potentielles envers les primitives cryptographiques
L’utilisation des Dollars et des Euros est fondée sur une confiance en la banque émettrice. Pour les Bitcoins, la confiance est basée sur la conception des réseaux pair à pair qui gèrent la blockchain et sur la solidité des primitives cryptographiques utilisées dans le protocole du bitcoin. Si quelqu’un parvient à casser ces primitives et à les utiliser à son profit, le Bitcoin n’existera plus. Le problème concerne le protocole de signature à base de courbe elliptique, principalement considérée comme solide. Toutefois, Adi Shamir, co-créateur de l’algorithme RSA, émet des doutes sur la fiabilité des courbes elliptiques.
La concentration du minage en Chine
A l’heure actuelle, 80% du minage de Bitcoin est fait en Chine. Le gouvernement chinois pourrait potentiellement choisir d’y exercer son autorité. Un excès de contrôle pourrait faire s’écrouler le Bitcoin donc le gouvernement chinois n’a pas d’intérêt à agir de la sorte. En revanche, Jean-Paul Delahaye met en garde sur ce quasi-monopole du minage dans un seul pays.
Les incertitudes autour de la gouvernance du Bitcoin
Les intérêts divergent entre les différents acteurs du Bitcoin. Les mineurs détiennent principalement le pouvoir sur le Bitcoin. Les développeurs pourraient, eux, vouloir aller dans le sens du développement des micro-achats. Quant aux utilisateurs, ils ont tout intérêt à ce que les transactions ne soient pas mises en attente pendant des heures voire des jours. Jean-Paul Delahaye estime que la conception implicite de la gouvernance du Bitcoin, c’est que ce sont les mineurs qui détiennent l’essentiel du pouvoir.
L’énergie dépensée par le minage
A propos du Bitcoin, l’on évoque souvent la dépense énergétique. La circulation des transactions dépense certes de l’énergie, mais c’est bien davantage celle dépensée par les mineurs pour faire fonctionner leur SHA 256 qui est la plus forte.
Les usines de minage sont des bâtiments équipés de dizaines ou même de centaines d’armoires dans lesquelles fonctionnent des puces dédiées aux calculs qu’implique le minage : c’est précisément là qu’est dépensée l’énergie.
Toutefois, Jean-Paul Delahaye précise que plus grande est la puissance des usines de minage, plus difficiles sont les attaques 51% du réseau. La dépense énergétique est néanmoins inutilement forte et coûteuse et continuera sur cette lancée si le Bitcoin continue de croître selon les prévisions.
La conférence dans son intégralité
Jean-Paul Delahaye est professeur émérite à l’Université de Lille, chercheur au CRISTAL (Centre de recherche en informatique, signal, et automatique de Lille du CNRS). Sa spécialité est la théorie de la complexité, et en particulier ses applications à l’économie et aux blockchains.
Il est membre de l’ARCSI et responsable de la rubrique « Logique et calcul » de la revue Pour la science (version française du Scientific American).