En 2001, l’Agile manifesto ou le « Manifeste pour le développement agile des logiciels » formalisait les méthodes agiles, avec leurs valeurs et principes sous-jacents. 20 ans plus tard, à l’heure de la crise sanitaire, ces approches de la gestion de projet sont plus que jamais utiles pour conduire une transformation agile du monde de travail.
Publiée originalement sur le site de Harvard Business Review France, une chronique d’experts organisation co-signée par Sébastien Tran, directeur de l’EMLV, fait le point sur le management agile comme solution en période de crise sanitaire.
La crise sanitaire, un accélérateur d’agilité ?
En période de profonde incertitude, les méthodes agiles peuvent favoriser de façon systémique l’adaptation continue de nos organisations.
En février, nous fêtions les 20 ans du manifeste agile de développement de logiciels. Composé de quatre valeurs et de douze principes expliquant la philosophie agile, ce manifeste a été diffusé en février 2001 et est aujourd’hui reconnu comme le document fondateur d’une nouvelle ère dans la conception de logiciels.
Le manifeste agile est le pilier des nombreuses méthodes itératives et incrémentales développées au cours des années 1990. Il n’existe donc pas une méthode agile, mais plus d’une vingtaine, parmi lesquelles nous pouvons distinguer deux types d’approches, adaptées tant aux petites équipes projets qu’aux grandes équipes, qui nécessitent une forte synchronisation.
Vingt ans de méthodes agiles
Les méthodes agiles sont des objets de management qui ont évolué au gré de leur diffusion. Il y a par exemple eu plusieurs mises à jour de la méthode Scrum, qui est la plus utilisée pour les projets à l’échelle internationale : elle ne se limite plus au développement de logiciels, mais se caractérise comme « un cadre de travail léger qui aide les personnes, les équipes et les organisations à générer de la valeur grâce à des solutions adaptatives pour des problèmes complexes ».
Si de nombreuses entreprises françaises se sont mobilisées, il y a plusieurs années, pour introduire et mettre en œuvre ces nouvelles approches dans le quotidien des projets à dominante informatique, elles se généralisent et se diffusent aujourd’hui au-delà des frontières de l’IT.
Bien que de nombreuses organisations entament à peine les premiers usages des « sprints », « user stories » et autres pratiques issues des approches agiles, nous pouvons déjà dresser un premier constat. Ces méthodes ont été expérimentées en France il y a plus de quinze ans. Si elles n’ont effectivement pas donné lieu à des révolutions au sein des hiérarchies et dans les différentes sphères managériales, la mise en œuvre de la méthode Scrum dans plusieurs directions des systèmes d’information a tout de même permis d’accélérer le développement de produits logiciels. C’est le cas, notamment, au sein de la Banque de France, la Société Générale, Renault ou encore GRDF.
La méthode SCRUM pour faire du changement agile
Dans le cadre de nos travaux de recherche, nous avons analysé la manière dont plusieurs organisations ont déployé la méthode Scrum. Nous avons ainsi identifié trois cycles qui permettent d’expliquer les stratégies mises en œuvre pour conduire une transformation agile des modes de travail.
1. L’expérimentation. La méthode est introduite par des adopteurs précoces souhaitant changer la manière de travailler de leurs équipes. Ces expérimentations sont souvent déclenchées par un mode de fonctionnement non satisfaisant, une crise de la collaboration interéquipe ou la volonté d’un manager d’introduire une nouvelle manière de travailler. Le périmètre d’expérimentation cible en général de petites équipes avec des changements organisationnels plutôt faibles.
2. L’extension d’usage. Lorsque les modes de fonctionnement sont satisfaisants à petite échelle (équipes projets de 4 à 11 personnes), les méthodes agiles sont étendues à des projets de plus grande ampleur, qui mobilisent plus de personnes. L’extension d’usage s’illustre notamment par l’apparition de rituels de synchronisation complémentaires, à destination des équipes travaillant sur un même projet. Les organisations doivent en effet accompagner les différentes équipes dans l’homogénéisation des pratiques de travail, la gestion des dépendances autour des grands livrables du projet et la définition commune des objectifs. Le déclenchement de ce cycle repose essentiellement sur la volonté de la direction des systèmes d’information d’amplifier les bénéfices constatés dans le cycle d’expérimentation : une meilleure capacité des équipes à gérer les priorités changeantes, une meilleure visibilité dans les projets et un meilleur fonctionnement entre les équipes des directions des systèmes d’information et les acteurs des différentes directions métiers.
3. La généralisation. Il s’agit de la généralisation d’une ou plusieurs méthodes agiles à tous les projets, au-delà de l’informatique. Elle s’illustre par le biais de nombreux dispositifs ayant pour objectif d’amplifier les mécanismes et l’usage des méthodes agiles pour augmenter la capacité d’adaptation d’un maximum d’équipes projets et d’acteurs opérationnels d’une organisation. La généralisation consiste donc à installer de nouvelles routines dans le quotidien de toute une entreprise. Contrairement à ce que peuvent présenter les cadres méthodologiques d’agilité à l’échelle, il n’existe pas vraiment de méthode pouvant s’appliquer à toute une organisation. Les équipes et les manageurs doivent adopter une posture de « concepteur méthodologique » afin de trouver le mix méthodologique le plus adapté à leur contexte.
Pour conduire la généralisation de ces méthodes, le dispositif dominant dans de nombreuses organisations réside dans la mise en place de programmes de transformation. Ils ont notamment pour but de fédérer différents départements d’une organisation pour donner un sens global au changement. Les programmes de transformation agile organisent les différentes actions d’accompagnement (coaching, formation, événements, etc.) afin d’aboutir à la stabilisation d’un mode de fonctionnement.
Mais il existe une autre approche, plutôt émergente : la méthode agile se généralise par effet de capillarité grâce aux flux de partage et de feed-back. Cette approche, qui traduit l’insatisfaction des acteurs opérationnels dans les projets, laisse les managers libre de mettre en place la méthode de leur choix.
Quelle que soit la démarche de généralisation envisagée, la transformation agile nécessite que les managers aient la capacité d’adapter la méthode et les différentes pratiques correspondantes à leur contexte. Cette capacité, que nous qualifions d’ingénierie des méthodes, et d’autant plus essentielle aujourd’hui, alors que le quotidien des managers évolue constamment et de manière parfois brutale (directives gouvernementales, changement de législation, de priorités stratégiques, etc.).
L’agilité face à l’incertitude
La crise actuelle peut donc être un accélérateur de la généralisation des méthodes et pratiques agiles, afin de favoriser de façon systémique l’adaptation continue de l’organisation, et ce sur plusieurs aspects. En effet, le fonctionnement itératif (en « sprints ») permet de se fixer des objectifs sur de courtes périodes et d’avancer pas à pas pour mieux appréhender la situation. Il s’agit de fixer des objectifs intermédiaires atteignables et tangibles, dans un souci de mobilisation des équipes dans un contexte de forte incertitude.
Par ailleurs, l’autogestion des équipes est un principe fort de la collaboration en mode agile. A l’heure où le télétravail se généralise, bousculant les interactions entre manager et managées, l’autogestion peut se manifester par la participation collective d’une équipe à la priorisation des tâches à accomplir.
La définition d’objectifs de façon collaborative permet de mieux encadrer la délégation du travail et de résoudre les problématiques de communication liées au télétravail, notamment en raison de la perte des échanges informels entre les différents acteurs.
La crise sanitaire pousse de nombreuses équipes à interagir dans un contexte de très forte incertitude et la généralisation du télétravail implique une modification des pratiques organisationnelles qui devraient sans doute perdurer après la crise. Si les méthodes agiles sont utilisées depuis plus de vingt ans dans les équipes projets informatiques – qui ont déjà une culture du travail à distance plus développée –, une chose est sûre : l’effet de mode est passé. Et la crise sanitaire actuelle se révèle être une période propice pour ancrer de nouvelles routines dans les organisations.
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