La firme américaine Apple est coutumière des grands coups de communication et de marketing. C’est sûr ça qu’elle a bâti son succès à ses débuts. Benoit Aubert, directeur du développement du Pôle Léonard de Vinci et enseignant en marketing à l’EMLV analyse le cas de la rumeur du moment concernant l’abandon de la prise jack sur l’iPhone 7.
Rumeur ? Stratégie marketing ? Innovation ? Disruption ? Quelle est véritablement l’intention d’Apple concernant son iPhone 7 ? Dans un article paru sur le site The Conversation, Benoit Aubert apporte un éclairage sur ce qui semble être le positionnement de la firme à la pomme sur son prochain produit phare.
Hit the road (prise) Jack !
L’atmosphère de bruit et de fureur autour du lancement de l’iPhone 7 semble indiquer qu’Apple a bel et bien repris à son compte la célèbre chanson écrite par Percy Mayfield « Hit the Road Jack » (littéralement : « Fiche le camp, Jack »). A écouter les rumeurs les plus folles, la décision aurait en effet été prise à Cupertino de supprimer le port Jack 3.5 utilisé depuis des dizaines d’années pour la connexion des écouteurs.
Les paroles de la chanson interprétée par Ray Charles semblent, au dire des consommateurs révoltés, pertinentes pour en donner la raison principale : « You ain’t got no money, you just ain’t no good » (« tu ne rapportes pas d’argent, tu n’es bon à rien »). En d’autres termes, il est temps d’innover et de trouver par la même de nouvelles sources de revenus. Et le choix a été fait d’une innovation disruptive, c’est-à-dire qui va permettre de remplacer une technologie dominante.
Protestation massive contre l’abandon du Jack 3.5
La protestation monte progressivement et massivement autour d’un fait non encore officialisé à ce jour par le fabricant. Mais, entre les dizaines de milliers d’articles recensés sur les moteurs de recherche Internet, les pétitions qui se multiplient contre l’abandon de Jack au profit d’une autre forme de connecteur (près de 250 000 signataires pour la plus importante) et les menaces de désertion des consommateurs, l’atmosphère a de quoi inquiéter.
Cet événement nous offre en parallèle un cas d’école très intéressant en termes de diffusion de l’innovation, de communication et d’analyse du comportement du consommateur. Décryptage.
L’émergence et la propagation d’une rumeur
Une rumeur se définit comme une information incertaine qui se répand à grande vitesse au sein d’une communauté. Favorisées par le processus d’assimilation, les incertitudes tombent peu à peu et la rumeur devient alors un fait établi, largement partagé. Elle échappe alors souvent au contrôle de la personne ou de l’institution concernée par ce bruit et peut avoir des conséquences néfastes.
Les cas de rumeur sont nombreux dans le domaine de l’industrie, notamment pour dénigrer des marques : présence de vers de terre dans les viandes destinées aux hamburgers, décès de chefs d’entreprises, attaque contre la concurrence, etc. Généralement, les entreprises concernées par cette forme de désinformation mettent en place une stratégie de démenti pour lutter contre ces bruits non contrôlés.
Le cas « Jack » ne semble pas rentrer dans cette catégorie. Apple n’a infirmé ni confirmé cette information. Une interprétation est que la rumeur est peut-être utile ici pour « éduquer » le marché à cette nouveauté et faire tomber les résistances des utilisateurs longtemps avant la sortie du produit. En d’autres termes, ce bruit est nécessaire à l’adoption et à la diffusion des innovations.
Résistance ou fidélité des consommateurs ?
Face à des innovations qui bousculent fortement les habitudes de consommation, la nature du risque auquel s’expose la marque doit être posée. Dans le cas « Jack », l’intensité actuelle du débat est un marqueur intéressant de l’émergence d’une réaction de résistance des consommateurs.
La littérature marketing nous indique que les conditions sont d’ailleurs réunies pour ce qui pourrait aboutir à un boycott. Les mécontents expriment des conditions de marché jugées non acceptables (gaspillage écologique par la mise au rebut de produits devenant non compatibles, etc.) et un produit qui ne répond plus à leur souhait d’utilisation.
Les protestations des habitués du jack sont donc entrées dans un état motivationnel de résistance, liées à la fois à une évaluation cognitive de la situation mais aussi du fait de réactions émotionnelles fortes. Pour autant, notre pressentiment est que cette motivation à résister ne se traduira pas par des actes. D’abord parce que l’image de la marque Apple/iPhone est forte, la propension à innover reconnue et la réputation en terme de design forte. Ensuite parce que la qualité de la démarche marketing de l’entreprise renforcera l’attachement à la marque et favorisera une fidélité des consommateurs.
L’adoption d’innovations disruptives
La question qui est implicitement posée est celle de la gestion de l’adoption de cette innovation disruptive dans les mois qui viennent. Conformément aux habitudes de la marque, les bénéfices de l’innovation vont être mis en avant, pour proposer un produit au design nouveau, (produit épuré, aminci, plus léger) et aux caractéristiques techniques améliorées (qualité sonore).
L’éducation progressive du marché, par l’utilisation de blogueurs influents, de journalistes et d’autres relais d’opinion va progressivement aider à retourner l’opinion dans un sens favorable. Ce travail n’est pas spécifique à la marque prise en exemple dans cet article.
Nombreux sont en effet les cas, tant dans le domaine industriel (adoption de moules magnétiques par l’industrie de la plasturgie pour citer un exemple) que dans le domaine de la grande consommation. Et à chaque fois, l’enjeu est identique. Faire comprendre la valeur d’usage. Ce travail est facilité lorsqu’il est réalisé par une marque avec un contenu d’image très fort.
D’ailleurs, vous souvenez-vous qu’il y a quelques mois, la firme de Cupertino a enlevé la plupart des connecteurs de son dernier ordinateur pour le rendre plus léger ? C’est vrai, il y a eu du mécontentement au début, mais il s’est estompé depuis. Visiblement, on se prépare à revoir une seconde fois le même film.
Changeons de disque et préparons-nous à écouter « Smooth Operator » de Sade…
Benoit Aubert, Directeur du développement, Pôle Universitaire Léonard de Vinci
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.