Apprendre à apprendre : plus qu’une compétence, une nécessité ! La tribune de Laure Bertrand sur l’apprentissage tout au long de la vie a été sélectionnée par la Conférence des Grandes Écoles pour son édition de rétrospective 2020.
Laure Bertrand, enseignante-chercheuse à l’EMLV, est directrice soft skills, développement durable et carrières au Pôle Léonard de Vinci. Experte de la transversalité, de l’hybridation et des compétences comportementales, Laure est également une collaboratrice régulière du think-thank de la Conférence des Grandes Écoles.
Son article « Comment agir pour ne jamais cesser à apprendre » a été sélectionné par la CGE pour son premier numéro de 2021, dans le cadre de la rétrospective de l’année 2020.
Apprendre tout au long de sa vie
Le constat est clair pour tous : « apprendre tout au long de sa vie » n’est plus un luxe. C’est un défi crucial, imposé par le rythme accéléré de l’évolution des technologies. La capacité à apprendre fait partie des 3 top skills requis pour 2022, selon la dernière étude du World Economic Forum.
Pour confirmer cela, quelques chiffres sur le futur de l’emploi :
- La majorité des métiers actuels vont disparaître ou être profondément transformés : 800 millions d’emplois dans le monde supprimés d’ici 2030, selon Mc Kinsey. En France, 2,1 millions de Français touchés, selon l’Institut Sapiens.
- De nouveaux métiers vont émerger : 85% des emplois de 2030 n’ont pas encore été créés, selon Dell et l’Institut pour le Futur.
Le métier que nous exerçons aujourd’hui sera peut-être obsolète demain ? Il faudra alors en changer, mais pour un nouveau métier qui n’existe pas encore ? Pas si simple…
Sur le plan collectif, cet enjeu engage la responsabilité de nombreux acteurs : état collectivités, entreprises, écoles et universités, acteurs de l’emploi et de la formation continue…
Sur le plan individuel, cet enjeu mobilise aussi la responsabilité de chacun.
C’est ce niveau individuel que j’ai choisi pour cette tribune, en m’inspirant de ma triple expérience pédagogique en Soft Skills, Accompagnement Emploi et Interdisciplinarité.
Que faire pour privilégier sa capacité personnelle à apprendre tout au long de sa vie ?
TOUT D’ABORD, ENCOURAGER EN SOI LES ATTITUDES ET COMPORTEMENTS QUI FAVORISENT CETTE CAPACITÉ D’APPRENDRE
Entrainer sa curiosité et (se) poser des questions, pour comprendre et apprendre
Il faut cultiver l’art précieux de savoir poser des questions : à soi, aux autres et au monde. Nous naissons tous avec cette capacité naturelle : entre 3 et 5 ans, c’est l’âge des « Pourquoi ». Il faut entretenir et encourager cette aptitude, pour qu’elle perdure. La curiosité est le moteur de la compréhension du monde, de l’apprentissage, de la science.
Explorer, décloisonner, relier : pluridisciplinarité et interdisciplinarité
L’ouverture d’esprit s’entretient en portant son intérêt sur des domaines et disciplines très variés. Sortir de ses terrains d’expertise habituels, ou de ses centres d’intérêt spontanés, pour découvrir et expérimenter autre chose. Et, peut-être, créer des ponts entre ces sujets apparemment différents ? Quitter sa « zone de confort » et accepter d’être surpris : un terreau fertile pour l’apprentissage.
Savoir interroger les certitudes, et se remettre en cause
Apprendre tout au long de la vie nécessite de conserver une liberté d’esprit face aux certitudes : celles des autres, tout comme les siennes propres. Pour garder son ouverture à des apprentissages nouveaux, il faut accepter parfois de bouleverser les savoirs acquis. Cette flexibilité intellectuelle est un moteur essentiel pour apprendre à apprendre.
Favoriser sa réflexivité, en considérant toute expérience comme une source d’apprentissage
Toute expérience vécue, individuelle et collective, peut être l’occasion d’une « relecture ». Décrire ce qui s’est passé, en comprendre les causes, identifier les points de progrès, en tirer des enseignements pour le futur. On apprend de ses réussites, comme de ses erreurs, avec lucidité et bienveillance, dans une perspective d’amélioration continue et d’apprentissage.
Pour confirmation, François Taddéi, fondateur du CRI, Centre de Recherches Interdisciplinaires, nous confirme comment, dans ce monde qui change très vite, il est indispensable de s’entraîner à l’ouverture d’esprit, à la curiosité et l’exploration hors des sentiers battus. (« Apprendre au 21ème siècle », Calmann-Lévy, 2018)
EN PARALLÈLE, ÊTRE VIGILANT SUR CE QUI LIMITE SA PROPRE CAPACITÉ D’APPRENDRE
Attention à la surabondance de l’information
Pour bien apprendre, encore faut-il savoir « quoi apprendre » et « de qui apprendre ». Internet et sa multiplication d’informations représentent un risque : mettre au même niveau un article scientifique et le post d’un troll anonyme. Dans ce contexte, « la capacité à distinguer les bonnes informations des mauvaises devient essentielle » (Babeau, 2020).
Attention à la préférence pour un temps court et « dopaminé »
L’Hyperconnexion numérique rend les individus addicts aux messages, notifications et sollicitations. On devient accro à ce rythme toujours plus court, toujours plus ludique : 9 secondes d’attention, à peine plus qu’un poisson rouge ! Pourtant,
« Apprendre, c’est un processus long et difficile, qui suppose un effort […], ce n’est pas ingérer un ballot de connaissances directement employables – c’est avant tout apprendre à penser » (Fillol, 2020).
D’ailleurs Bruno Patino, directeur éditorial d’Arte France, nous démontre comment l’apprentissage devient plus difficile dans cette économie qui cherche à capter l’attention. Il nous incite à la plus grande vigilance envers nos propres « addictions » au numérique (« La civilisation du poisson rouge, petit traité sur le marché de l’attention », Grasset, 2019)
Pour « ne jamais cesser d’apprendre », il faudrait accepter ce paradoxe : à la fois s’ouvrir largement sur le monde, tout en préservant l’intériorité et le temps long…