Une tribune d’Yves-Alain Ach et Sandra Rmadi Said, professeurs à l’EMLV, parue dans The Conversation.
Les « millénials », nés en même temps que la démocratisation du net, devenus adultes avec la démocratisation des smartphones, ces technologico-natifs, avides de nouvelles expériences bouleversent aujourd’hui les modes de management des entreprises en créant des tensions contradictoires entre une approche managériale en vigueur hiérarchique et à visée prescriptive et l’ouverture à de nouvelles formes de management disruptif fondé sur la liberté et l’autonomie des collaborateurs pour permettre à l’entreprise et aux individus de se réinventer.
Les attentes des « Millénials » par rapport au marché du travail
Une étude récente publiée par le cabinet Accenture en 2017, montre que les grandes entreprises ne suscitent plus autant d’engouement auprès des jeunes diplômés ou de jeunes ayant une à deux années d’expériences. Cette étude révèle aussi que parmi ceux issus des grandes écoles de commerce et d’ingénieurs, 12 % seulement ont l’intention de rester plus de cinq ans dans leur premier emploi. Ces résultats interpellent : comment fidéliser ces futurs collaborateurs -ou ces consommateurs ? Quelles sont leurs attentes ?
Pour répondre à cette question, la même étude avance que 83 % des jeunes diplômés s’attendent à ce que leur premier employeur accorde une attention particulière à leur formation, plus de la moitié d’entre eux considèrent l’environnement de travail épanouissant et collaboratif, même si la rémunération y est moins élevée, comme critère discriminant entre 2 offres d’emploi.
Outre la rémunération, leurs critères de sélection concernent : l’intérêt du travail et son caractère stimulant, l’environnement innovant, les opportunités de progression rapide, ainsi que des horaires de travail flexibles. Toutefois, cette flexibilité du travail est relative et doit s’accompagner d’un équilibre entre vie privée et vie professionnelle.
« Il y a un vrai travail de réflexion à mener de la part des grandes entreprises en lien avec la promesse employeur et la relation qu’elles doivent tisser avec ces jeunes collaborateurs. » explique Céline Laurenceau du cabinet Accenture.
Une autre enquête de la Cegos (2017) révèle que : les Millénials considèrent que la rémunération est le facteur premier d’attractivité pour un poste, l’objectif étant de développer des compétences dans de bonnes conditions. De ce fait, ils doivent rapidement développer leurs compétences, cela leur permettra d’assurer un levier important d’adaptation permanente. Plus de la moitié d’entre eux se déclarent pro-actifs et sauront saisir rapidement de nouvelles opportunités d’emploi.
Il ressort de ces différents résultats que les jeunes expérimentés ou diplômés recherchent des conditions singulières et de nouvelles pratiques de travail. Dans cette quête, l’entreprise est perçue comme un espace temps et lieu qui doit favoriser l’amplification de la capacité d’action individuelle grâce à la présence d’un environnement innovant et stimulant. Elle offre ainsi à chacun un espace pour amplifier son individualisation, se distinguer des autres par l’apprentissage et la formation sans pour autant s’isoler du collectif.
Dans cette nouvelle conception, l’action collective permet la création d’un ensemble d’opportunités permettant à chacun de se former pour construire l’édifice de l’étape d’après de son parcours professionnel et développer sa singularité. L’emploi est donc mort au profit de la valeur du travail.
La réponse à la question : « faut-il adapter les pratiques de travail aux Millénials ? » semble de fait évidente. Pour autant, il persiste des tensions contradictoires entre les objectifs de l’entreprise, la réalité du terrain et les modes de management. Le digital et l’innovation managériale, au cœur de la transformation des entreprises nécessitent une évolution profonde des pratiques de travail et des modes de management des entreprises et des cabinets qui les conseillent et auditent.
De quels moyens disposent aujourd’hui les cabinets d’audit et de conseil pour attirer, séduire et retenir les Millénials ?
La tension entre une approche managériale prescriptive en vigueur et les attentes de la part des jeunes diplômés ou expérimentés d’un nouveau mode de management plus collaboratif et flexible, sonne comme une évidence. L’adaptation du lieu de travail, le croisement des talents, l’adoption de méthodes collaboratives innovantes et la mise en œuvre des modes de management digitaux (cloud d’entreprise, réunion en visio-conférence, organisation des espaces de co-working, adaptation à l’environnement technologique des clients) au sein de lieux inspirants sont les principaux facteurs requis pour un management plus flexible et plus agile, en croisant les savoir-faire, la technologie, la data-analytics et la cybersécurité.
Pour autant, la technologie ne peut à elle seule être la solution aux nouvelles problématiques managériales. Il faut remettre l’humain au centre de toutes les préoccupations avec à la clé un management repensé, fondé sur la motivation des équipes et l’adoption d’attitudes et de comportements attendus par les jeunes collaborateurs.
C’est le début de la fin du management hiérarchique et cloisonné. Chez les « big four », la tendance est à la réduction des lignes hiérarchiques et à l’aplatissement des structures favorisant un fonctionnement plus agile. Depuis quelques mois, elle s’accompagne de la suppression des bureaux des associés et leur transformation en open-space. La suppression de lieux physiques fixes est accompagnée par une remise en cause du statut même qui jadis était symbole d’autorité et de pouvoir co-actif. L’associé devient un leader capable de libérer du sens.
Dans la même lignée, l’intégration de nouvelles compétences dans les équipes rend l’organisation plus hybride. Il n’est plus rare de rechercher parmi les nouvelles recrues des : « critical thinkers », des designers, des « marketers » et des spécialistes de l’intelligence artificielle. La transversalité est devenue plus qu’un « buzz word » une valeur et un mode de management. Pour être attractif, les salles de sport, les services à la personne aux bureaux ne suffisent plus. Il faut adopter des modes de fonctionnement qui relèvent plus de la « startup » que la grande entreprise.
Ainsi, les cabinets d’audit et de conseil pour retenir leurs collaborateurs doivent adapter leur organisation au profil de la majorité de leurs collaborateurs de moins de 30 ans. Celle-ci doit leur permettre de participer directement ou indirectement à de grandes causes, leur assurer un confort social nécessaire à leur niveau d’attente et une flexibilité des horaires permettant de lier vie sociale et travail. Il en découle une adaptation nécessaire afin de porter l’attention sur la capacité des managers en charge des Millénnials à appréhender l’ensemble de ces exigences. Concrètement, cela passe par une adaptation du management et une évolution de l’encadrement des missions.
La remise en cause de la dialectique action collaborative-contrôle managérial dans la relation Manager-Millénial ?
Cette réflexion n’est pas nouvelle dans la mesure où Canals (2011), Karsh et Templin (2013) ont déjà étudié l’adaptation des organisations aux valeurs véhiculées par les baby-boomers, pour mieux les intégrer. Mais cette fois-ci un élément nouveau vient se rajouter aux idéaux : la technologie.
Les évolutions technologiques sont un vrai défi pour les cabinets d’audit et de conseil dans la mesure où les futurs salariés sont des individus nés avec des capacités intuitives leur permettant une facilité d’utilisation de ces outils. La difficulté principale pour les managers vient du fait que les Millénials ne considèrent pas leurs supérieurs hiérarchiques comme des experts dans la mesure où ils sont capables de trouver l’information technique par eux-mêmes dans un laps de temps très court.
Ils recherchent des guides pour avancer dans leur travail. Comme cela a été décrit par Brack (2012) « ils considèrent davantage les managers comme des coachs et des mentors ». Ils s’attendent plus à un accompagnement auquel les managers ne sont pas préparés. Ce constat devrait conduire les cabinets d’audit et de conseils à évoluer vers des organisations autonomes autour d’équipes constituées de collaborateurs qui hiérarchiseraient eux même leur travail. Cette organisation par projet fondée sur une logique de coordination relationnelle et non hiérarchique, correspond bien au fonctionnement intellectuel des Millénials.
Bannon, Ford, Meltzer (2011) résument bien ce que c’est qu’un Millénial : un individu éduqué, socialement responsable, ouvert à la diversité, qui maitrise des technologies avancées et qui cherche un équilibre de vie et un contexte apprenant. Le métier de consultant en lui-même ne suffit plus pour faire rêver. Aux cabinets de réinventer le rêve !
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.