L’homme ou la machine ? C’est une question qui taraude bien d’entreprises sceptiques à l’égard de l’IA. L’automatisation suscite des craintes depuis longtemps, et la déshumanisation du travail du manager en fait partie. En effet, les algorithmes permettent d’optimiser la prise de décisions manageriales et d’alléger la réalisation des tâches quotidiennes. Mais peut-on dire pour autant que le manager « hybride » sera dépourvu de la capacité de réflexion et d’analyse propre à l’être humain ?
Dans une tribune originalement publiée dans le Monde des grandes écoles, Peter Saba, responsable du Master Management des systèmes d’information et des data, tache de répondre à ces interrogations qui planent autour de la transformation du rôle et de la personnalité du manager.
Sur la prise de décision, peut-on imaginer que l’IA décide de tout à la place des managers ?
La généralisation du recours à l’IA façonne notre quotidien et les algorithmes ont une place croissante dans le monde de l’entreprise. Mais cela est-il également valable pour les fonctions managériales, qui consistent pourtant essentiellement dans du relationnel humain ?
Et pour ce qui est de la prise de décision, peut-on imaginer qu’à l’avenir, les machines décident de tout à la place des managers ?
La formation, l’évaluation de la performance ou encore la supervision : dans de très nombreuses entreprises, ces tâches, propres aux managers, sont déjà confiées à des logiciels. On voit bien le risque : pour un salarié, il est difficile de contester une décision prise par une machine. Cette impossibilité de la discussion pourrait, si d’autres espaces n’existaient pas, renforcer le sentiment d’aliénation du collaborateur et, à terme, faire chuter drastiquement son investissement. Plus généralement, la prise de pouvoir de la machine sur l’humain pourrait ainsi avoir des effets désastreux.
69 % : selon l’organisme de recherche Gartner, c’est le pourcentage des tâches managériales routinières actuelles qui seront entièrement automatisées d’ici 2024.
Pourtant, selon une étude longitudinale centenaire de l’Université Stanford sur l’IA, aucune machine (aux attentes et objectifs relevant d’un libre arbitre) n’a encore été développée, et cela ne sera probablement pas le cas non plus dans un futur proche. Nous sommes donc loin de ce que la technologie puisse constituer une menace imminente pour le management en entreprise.
En dépit des bouleversements profonds qu’entraînent les IA sur notre société et notre économie, la confiance des dirigeants dans les informations fournies par cette technologie reste fragile. Malgré les progrès des technologies cognitives basées sur l’IA, un scénario de substitution des managers par les machines est donc loin d’être une réalité.
Dépasser l’opposition binaire homme/machine
La question de savoir si l’IA remplacera la décision managériale est fondée sur une vision binaire erronée, selon laquelle il ne peut y avoir qu’un seul gagnant. Cette vision suppose que l’IA et les managers auraient les mêmes qualités et capacités. Pourtant, ce n’est pas le cas. L’évolution de la prise de décision managériale nécessite un changement de paradigme complet – un passage d’une simple prise de décisions à une prise de « décisions sur les décisions ». Ce sont toujours les managers qui solliciteront l’aide de l’IA pour les aider dans les décisions à prendre, mais ils pourront, grâce au temps dégagé, se concentrer sur les aspects plus stratégiques de leurs fonctions (amélioration des processus, les discussions « politiques », etc.).
L’intelligence humaine a la capacité d’imaginer, anticiper, ressentir et juger des situations changeantes. Cela lui permet de passer des préoccupations de court terme à celles de long terme.
Contrairement à l’intelligence artificielle, l’intelligence humaine est donc « réelle ». L’IA n’est pas intuitive, émotionnelle ou sensible au contexte environnemental. Elle ne peut réagir qu’aux données disponibles.
Équipes « hybrides » et garde-fous
D’où l’intérêt de trouver les bonnes synergies entre l’humain et l’IA. En ce sens, l’automatisation n’est pas une menace mais bien une opportunité pour gagner en productivité… pour peu que l’on instaure des garde-fous. Sans cela, ce sont les plus vulnérables au sein de l’entreprise qui risquent de faire les frais d’une automatisation irraisonnée. Chaque nouvelle technologie provoque des effets perturbateurs au début de son développement et déploiement. Elle ne révèle sa valeur qu’après un certain temps. Cela ne signifie pas que les dirigeants doivent attendre que cette valeur puisse se révéler toute seule, bien au contraire. Les décideurs ont et doivent conserver la mission et la responsabilité d’être ceux qui donnent l’orientation à leurs équipes, y compris lorsque celles-ci sont « hybrides », collaborateurs et IA.
L’objectif ? Combiner le génie de l’esprit humain et l’expertise réelle avec une technologie nouvelle pour résoudre les problèmes les plus difficiles.
« Les prises de décision automatisées déchirent le filet de sécurité sociale, criminalisent les pauvres, intensifient la discrimination et compromettent nos valeurs nationales les plus profondes. Elles redessinent nos décisions sociales partagées sur ce que nous sommes et ce que nous voulons être sur le modèle de problèmes d’ingénierie système » – Virginia Eubanks, Automation Inequality
Les décideurs doivent orienter l’usage de l’IA dans ce sens afin qu’elle devienne auxiliaire de l’intelligence humaine, pour suppléer là où elle n’est pas suffisante, mais sans prendre sa place.
Il est donc primordial de concevoir des systèmes d’IA qui ne fonctionnent pas seuls, et sur lesquels l’humain puisse toujours avoir le dernier mot.
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