Apprendre de Léonard – Partie 5. En 1482 les curriculum vitae n’existaient pas. La lettre de de Vinci est donc tout à la fois ; son CV, sa lettre de motivation, l’exposé de tous les termes nécessaires à attirer l’œil. C’est une « promesse » de réponse à une attente. L’éclairage de Philippe Spach, responsable de la filière Digital RH à l’EMLV, sur l’innovation appliquée à la rédaction de la lettre de motivation.
L’homme courbé devant la feuille posée sur son établi écrit sans hésitation. Il rédige vite. Sa calligraphie est fine et précise. Il ne fait aucune rature, ou si peu.
L’envie, l’analyse du besoin et savoir se faire désirer.
Il sait ce qu’il doit tenter de démontrer. Il veut donner envie à son futur lecteur de le rencontrer. L’homme qui tient la plume se connait. Il ne ment pas, n’embellit pas, mais, néanmoins, il anticipe en prenant appui sur les désirs connus et affichés de son lecteur. Son futur employeur est à la portée de sa plume.
La lettre est terminée. L’individu la relit à la lueur des rayons du soleil. Nous sommes en 1482, Léonard de Vinci vient de finir la rédaction d’une lettre adressée au Duc de Milan. L’ingénieur artiste cherche du travail. Ce n’est plus un jeune homme à l’époque, il a 30 ans et de l’expérience à revendre.
Ce peut être vous, nous, un jour de recherche active d’emploi. Nous sommes possiblement tous confrontés à l’écriture de ce type de courrier.
Cet exercice est devenu un véritable rituel nécessaire. Cinq siècles plus tard, l’enseignement est grand. Léonard de Vinci est un maître incontestable.
Aujourd’hui, nous sommes en 2019.
Si cette lettre est toujours aussi fascinante à lire, est-elle encore d’actualité ?
En 2019, l’écriture d’un courrier n’a plus rien de moderne. En 1482, concevoir une lettre de ce type était une innovation totale. En tant que moyen de communication, en capacité de lecture, en facilité d’acheminement. Avec cette lettre adressée au Duc de Milan, cet écrit n’entre pas dans de la romance ou la poésie, mais est un acte de vente. C’est sacrément gonflé !
L’histoire prouve que cette lettre a suscité le désir du Duc de Milan pour rencontrer Léonard de Vinci. Le Duc embauchera de Vinci et la collaboration durera dix-sept années ! La lettre répond alors à son objectif. Bravo Léonard !
Dans ce courrier manuscrit, de Vinci accroche l’intérêt de son employeur potentiel. Il attire l’attention de Ludovicio Sforza, Duc de Milan, puis il vente ses propres mérites, les potentialités d’une collaboration fructueuse.
« Ayant très illustre Seigneur, vu et étudié les expériences de tous ceux qui se prétendent maîtres en l’art d’inventer des machines de guerre et ayant constaté que leurs machines ne diffèrent en rien de celles communément en usage, je m’appliquerai, sans vouloir faire injure à aucun, à révéler à Votre Excellence certains secrets qui me sont personnels, brièvement énumérés ici.
1° J’ai un moyen de construire des ponts très légers et faciles à transporter, pour la poursuite de l’ennemi en fuite ; d’autres plus solides qui résistent au feu et à l’assaut, et aussi aisés à poser et à enlever. Je connais aussi des moyens de brûler et de détruire les ponts de l’ennemi.
2° Dans les cas d’investissement d’une place, je sais comment chasser l’eau des fossés et faire des échelles d’escalade et autres instruments d’assaut.
3° Si par sa hauteur ou par sa force, la place ne peut être bombardée, j’ai un moyen de miner toute forteresse dont les fondations ne sont pas en pierre.
4° Je puis faire un canon facile à transporter qui lance des matières inflammables, causant un grand dommage et aussi grande terreur par la fumée.
5° Au moyen de passages souterrains étroits et tortueux, creusés sans bruit, je peux faire passer une route sous des fossés et sous un fleuve.
6° Je puis construire des voitures couvertes et indestructibles (des tanks) portant de l’artillerie et, qui ouvrant les rangs de l’ennemi, briseraient les troupes les plus solides. L’infanterie les suivrait sans difficulté.
7° Je puis construire des canons, des mortiers, des engins à feu de forme pratique et, et différents de ceux en usage.
8° Là où on ne peut se servir de canon, je puis le remplacer par des catapultes et des engins pour lancer des traits d’une efficacité étonnante et jusqu’ici inconnus. Enfin, quel que soit le cas, je puis trouver des moyens infinis pour l’attaque.
9° S’il s’agit d’un combat naval, j’ai de nombreuses machines de la plus grande puissance pour l’attaque comme pour la défense : vaisseaux qui résistent au feu le plus vif, poudres et vapeurs.
10° En temps de paix, je puis égaler, je crois, n’importe qui dans l’architecture, construire des monuments privés et publics, et conduire l’eau d’un endroit à l’autre. Je puis exécuter de la sculpture en marbre, bronze, terre cuite. En peinture, je puis faire ce que ferait un autre, quel qu’il puisse être. Et en outre, je m’engagerais à exécuter le cheval de bronze à la mémoire éternelle de votre père et de la Très Illustre Maison de Sforza.
Et si quelqu’une des choses ci-dessus énumérées vous semblait impossible ou impraticable, je vous offre d’en faire l’essai dans votre parc ou en toute autre place qu’il plaira à Votre Excellence, à laquelle je me recommande en toute humilité. »
Le duc de Milan a pu retenir l’essentiel. Il a donc embauché Léonard de Vinci.
Des mots explicites et essentiels.
Retenons les 7 éléments essentiels de ce document d’anthologie et de référence à une époque où il n’y a pas de CV, ni de sites internet spécialisés, encore moins de pré-sélection opérée par une Intelligence Artificielle :
– Attirer l’attention du futur employeur,
– Répondre aux intérêts, aux besoins de cet employeur potentiel,
– Mettre en évidence l’innovation possible à offrir dans son ou ses domaines de compétences,
– Être résolument tourné vers l’avenir, en particulier celui du potentiel employeur,
– Ne pas évoquer le passé,
– Ne pas juste énumérer ses compétences,
– Proposer une rencontre afin d’exposer ses talents.
En 1482 les curriculum vitae n’existaient pas. La lettre de de Vinci est donc tout à la fois : son CV, sa lettre de motivation, l’exposé de tous les termes nécessaires à attirer l’œil. C’est une « promesse » de réponse à une attente.
Une lettre manuscrite de motivation est souvent demandée aux candidats en France. Il s’agit presque d’un rituel. Elle doit servir de support d’accompagnement au CV. Dans les faits, les recruteurs portent plus d’attention aux éléments du CV et aux phrases du mail qui l’envoie.
Une lettre de motivation, tout comme le contenu du mail ne doit jamais être une redite de ce qui est dit dans le CV. Ce doit être une accroche, un « teaser » aux éléments de ce fameux CV. La vertu réside dans le bon message, au bon moment, suivant le besoin de celui qui peut en avoir l’utilité.
Léonard était encore sur ce point un précurseur. Il inventait une façon moderne de vendre ses compétences à celui qui les recherchait.
Nos écoles, à leur tour, apprennent à nos étudiants à valoriser leurs compétences, à mettre en évidence leurs potentiels d’innovation, à répondre aux besoins des employeurs, en utilisant les outils les plus modernes à cette communication.
Les talents sont là, résolument tournés vers l’avenir. Il convient de le faire savoir ! Merci Léonard !
Philippe Spach,
Auteur, professeur
Responsable de la filière Digital RH – EMLV