Comprendre le monde qui nous entoure et mieux appréhender les enjeux sociétaux et technologiques. C’est l’objet du livre blanc « Tech, le monde d’après. Un défi pour l’enseignement supérieur ». Sébastien Tran, directeur général du Pôle Léonard de Vinci et de l’EMLV, a apporté des explications dans une interview accordée à L’essentiel du sup, une newsletter de référence dans le monde académique.
Téléchargement libre : Livre Blanc : Tech, le monde d’après. Un défi pour l’enseignement supérieur.
Entretien
Olivier Rollot : Pourquoi avoir voulu publier un livre blanc consacré aux techs ?
Sébastien Tran : Nous voulions d’abord ouvrir la « boîte noire » qu’est la tech. Beaucoup parlent de la tech sans forcément avoir même une connaissance a minima de ses fondamentaux. Prenons l’exemple de l’intelligence artificielle. Ne serait-ce déjà que de savoir qu’il y a plusieurs courants dans l’intelligence artificielle, que c’est quelque chose qui n’est pas nouveau, qu’en fait c’est revenu dans les débats suite au progrès technologique que l’on a fait dans le traitement des data, c’est important.
Ce livre blanc s’adresse d’ailleurs à tous les publics. Dans une société technologique comme la nôtre même un juriste, même un sociologue doit comprendre les fondamentaux de la tech. Plus généralement, nous devons remettre en perspective la culture scientifique.
Quand on regarde la crise sanitaire au travers du prisme de la vaccination, on voit bien qu’il y a un vrai besoin de donner à chacun les clés pour comprendre ce que cela signifie. L’ARN messager est une innovation que tout le monde ignorait, mais peu connaissent vraiment ce que sont les protéines ou les cellules. Et nous avons oublié les réticences qu’il y a toujours eu chez certains à se faire vacciner dans l’histoire des sciences.
La seconde problématique qui nous anime est de donner à nos étudiants l’ensemble des outils et des clés de compréhension qui vont leur être nécessaires pour inventer les solutions aux défis qui les attendent. Autour de la tech, des sciences et du numérique nous voyons bien que nous allons nous trouver face à de nouveaux sujets et que ce sera à nos étudiants, qui seront demain dans les entreprises, de faire face à toutes ces problématiques .
Nous devons également sensibiliser les entreprises à cette dimension éducative qui va intégrer cette culture scientifique et numérique. Les entreprises vont devoir se réinventer, que ce soit dans leur organisation, dans leur propre culture et même dans leur modèle économique. Nous, établissements d’enseignement supérieur, sommes un maillon intermédiaire qui forme des étudiants qui vont arriver sur le marché de l’emploi avec des attentes différentes auxquelles les entreprises doivent se préparer. Les entreprises n’en ont pas forcément conscience. Quand nous les interrogeons sur ce que nous devons apporter aujourd’hui à nos étudiants, elles nous répondent des cours sur la transition environnementale. Mais ça nous le faisions déjà depuis plusieurs années.
O. R : En ce moment on parle beaucoup du socle commun de connaissances au lycée en mathématiques. Si vous deviez définir un socle de connaissances scientifique nécessaire aujourd’hui à tout étudiant, quel serait-il ?
S. T : Les mathématiques sont utiles également en finance, en économie comme en marketing. C’est très paradoxal dans notre société d’entendre constamment dire que la France doit devenir une grande nation scientifique et réindustrialiser son territoire sans faire en sorte que de plus en plus d’individus maîtrisent les sciences. De ce point de vue, la baisse constante du nombre de doctorants en France doit aussi nous interpeller.
O. R : En fait ce que vous exprimez c’est que les sciences donnent des clés de compréhension indispensables pour comprendre le monde dans lequel nous vivons.
S. T : Même s’ils ne font pas tous une école d’ingénieurs, tous les jeunes doivent comprendre ce qu’est la science. D’autant que notre enjeu est également de nous situer dans une compétition internationale. En Asie, la place qu’ont les sciences et les mathématiques est sans commune mesure avec ce que nous connaissons aujourd’hui en France.C’est d’autant plus important que les matières scientifiques conduisent également à élaborer des raisonnements complexes face à une simplification du raisonnement qui tend à amener des positions extrêmes. C’est donc également un vrai enjeu sociétal. De ce point de vue, la crise du Covid a montré comment la mondialisation et les modes de vie ont conduit à une propagation ultra rapide de la pandémie.
O. R : Avec ses trois écoles, l’EMLV en management, l’ESILV d’ingénieur et l’IIM pour le digital, le Pôle Léonard de Vinci incarne l’hybridation des savoirs. Quels fondamentaux des sciences doivent-ils tous posséder ?
S. T : Nous devons donner un vernis un peu homogène à tous nos étudiants. Il y a trois ans peu de personnes voyaient l’intérêt de délivrer un cours de transition climatique à l’EMLV. Nous avons mis en place en 2ème année un module de culture scientifique, ne serait-ce que dans une perspective historique pour comprendre les grandes innovations et leurs impacts. C’est très important car cela permet d’avoir moins d’appréhension à aller vers l’autre.Cela fait le lien avec les soft skills, qui représentent également une partie importante de ce livre blanc. Avoir un peu plus de compréhension de la manière dont pense l’autre fait que c’est beaucoup plus facile de travailler, ou ne serait-ce qu’échanger, avec lui.
Quand on comprend les propriétés de chaque objet, on comprend vraiment comment tout fonctionne. Nos étudiants doivent avoir ces aspects en tête. Je rêverais que tous nos étudiants suivent un cours de soudure. Il faut lire ce livre appelé « L’étrange et folle aventure du grille-pain, de la machine à coudre et de ceux qui s’en servent » pour mesurer comment tous les objets du quotidien sont le résultat d’évolutions technologiques majeures.C’est aussi pour cela que nous avons créé le De Vinci Innovation Center. Pour que nos étudiants comprennent qu’un objet est un assemblage de composants quand le tout numérique nous fait croire que seul compte le code.