Un article de Kseniya Navazhylava, enseignant-chercheur en management et organisation à l’EMLV, Jean-Charles Pillet, Marcos Barros et Gazi Islam, initialement publié sur changethework.com.
Le bonheur semble être la marque de fabrique de ce début de 21e siècle : la quête du bien-être est devenue un dénominateur commun dans un monde caractérisé par un floutage croissant entre travail et loisir, jours travaillés et jours chômés, identité professionnelle et identité personnelle.
L’hédonisme au goût du jour
Salles de Yoga, salons de thé et autres « centres de bien-être » occupent les principales artères de nos centres-villes. Les multinationales associent l’idée de bonheur à la consommation de leurs produits. Le hashtag #hedonism prolifère sur le réseau social Instagram. Les startups se mettent en quatre pour offrir des espaces de travail toujours plus agréables à leurs jeunes recrues. De quoi donner du grain à moudre aux philosophes qui se retrouvent pour disserter sur la poursuite du bonheur au Café Flore :
Est-ce que le simple fait de vouloir façonner le bonheur compromet le succès de ce type d’initiatives, tout aussi honorables qu’elles soient ? En d’autres termes, peut-on concevoir le bien-être d’autrui ?
Bien que la question de façonner le bonheur semble avoir gagné en intensité au cours de la dernière décennie, les tentatives d’en comprendre les nombreuses composantes ne sont pas nouvelles. Le concept d’hédonisme – maximiser les plaisirs tout en minimisant les peines en tant que finalité ultime – a pris son essor à l’antiquité autour d’Epicure. Depuis, le lien entre bonheur et douleur a fait l’objet de nombreuses discussions philosophiques, pour la plupart axées sur la maximisation du plaisir. L’utilitarisme, en particulier, suggère que le rôle des gouvernements est de maximiser la somme des bonheurs individuels de leurs concitoyens (la fameuse fonction d’utilité) en vue d’améliorer le bien-être de la société dans son ensemble.
La technologie au service du bien-être
Mais notre propos ici est d’interroger le rôle que peut jouer la technologie dans ce contexte, or le lien qu’entretien la technologie avec les questions de bien-être est complexe, sinon paradoxal. D’un côté, les développements scientifiques s’appuient sur le constat que l’innovation permet d’atténuer les peines et sources d’insatisfaction.
David Pearce, co-fondateur de la World Transhumanist Association, est convaincu que les nanotechnologies, la neurochirurgie, l’ingénierie génétique et la pharmacologie sont en passe d’éliminer toute sensation de douleur physique sur terre.
À cette fin, la technologie émerge comme l’un des principaux moyens permettant de neutraliser toute source d’insatisfaction.
À l’inverse, les approches visant à améliorer le bien-être individuel ont proliféré à l’aune du développement de la théorie de la psychologie positive et de la diffusion de ses préceptes dans toutes les couches des sociétés modernes. L’« Informatique Positif » (ou Positive Computing), déclinaison directe des principes de la psychologie positive au domaine informatique, fait la promotion d’un développement technologique centré sur l’humain à des fins d’amélioration de notre bonheur et de notre santé.
Bien-être et technologie : un paradoxe ?
Paradoxalement, la technologie apparaît également un obstacle sur le chemin vers une société heureuse et épanouie. Il nous est chaque jour donné d’observer les effets pervers des technologies digitales, et les preuves s’accumulent à mesure que des études scientifiques commencent à trouver des liens de causalité entre l’usage des technologies de communication et le sentiment d’isolement, l’addiction, ou la dépression.
Le harcèlement en ligne devient une question de société qui affecte non seulement les adolescents, mais également certains adultes qui voient des vidéos prises dans l’intimité partagée massivement sur les réseaux sociaux.
En définitive, bien que les technologies de communication aient un effet positif sur l’estime de soi, le capital social, ou le soutien social perçu, ces effets ne sont guère réconfortants en comparaison des vies qu’elles détruisent.
Le Centre pour les Technologies Humanistes (Center for Humane Tech), créé par l’ancien déontologue de Google Tristan Harris, a pris clairement position contre ces effets pervers et cherche à réaligner la technologie avec les intérêts de notre civilisation, notamment en responsabilisant les concepteurs.
Happytech ou les startups françaises qui changent la donne
Maximiser l’impact positif des technologies tout en minimisant leur effet pervers constitue un défi séduisant que quelques startups françaises réunies autour du label ” Happytech ” ont décidé de relever. Ce collectif a pour but de devenir un leader dans les services technologiques de bien-être en entreprise. Il s’appuie actuellement sur une quarantaine de membres (entreprises, startups, et partenaires institutionnels) qui s’emploient à déployer des solutions innovantes visant à améliorer le bien-être en entreprise.
Il est demandé à toute startup qui souhaiterait rejoindre le collectif d’être en mesure d’offrir des solutions technologiques innovantes à des entreprises souhaitant investir sur le bien-être de leurs collaborateurs.
Par exemple, OneConciergerie démocratise les services de concierges en combinant une application intuitive avec un algorithme de langage naturel développé en interne; Comeet propose d’améliorer simultanément le bien-être et le capital social des collaborateurs en facilitant les rencontres entre personnes ayant des intérêts professionnels et des affinités personnelles communes; enfin, Bloom propose de diminuer l’absentéisme et le turnover en permettant aux managers de suivre et gérer le bien-être de leurs équipes à travers des indicateurs régulièrement mis à jour.
Donc tandis que les philosophes continuent d’explorer la question de savoir s’il est possible de façonner une société du bien-être, des startups innovantes ont décidé de prendre le problème à bras le corps. On observe un intérêt croissant pour ce type de solutions, ce que l’on peut attribuer au fait que les conséquences d’une hausse continue de l’absentéisme, du désengagement et du turnover commencent à se faire ressentir sur la performance financière des entreprises.
Plus d’informations sur la filière Digital RH en alternance à l’EMLV. Pour retrouver les coordonnées de Kseniya Navazhylava, cliquer sur ce lien.