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Euro numérique : la monnaie de banque centrale en questions. Une tribune de Sabrine Ayed et Timothée Waxin

Dans leur tribune « Euro numérique : la monnaie de banque centrale en questions » parue dans le Monde des grandes écoles et universités, Sabrine Ayed, enseignante-chercheuse en finance à l’EMLV, et Timothée Waxin, enseignant-chercheur en finance et responsable du département Finance, data & performance à l’EMLV, décrivent le projet de la Banque centrale européenne (BCE) visant à créer une version numérique de l’euro, la monnaie commune de l’Union européenne.

Vingt ans après l’introduction de la monnaie unique, la Banque centrale européenne (BCE) a lancé en octobre 2021 ses travaux sur l’euro numérique pour une durée approximative de deux années visant à en étudier sa conception, sa distribution et ses effets potentiels sur le marché avant une mise en place éventuelle effective d’ici 2027. L’euro numérique serait concrètement une monnaie numérique de banque centrale, équivalente aux espèces, mais sous forme dématérialisée. Il viendrait ainsi en complément des pièces et billets et constituerait une solution de paiement supplémentaire. Contrairement aux crypto-actifs dont le maintien de la valeur dans le temps dépend de l’entité émettrice, la valeur de l’euro numérique sera préservée par la banque centrale.

Un euro numérique de banque centrale aux ambitions multiples

Cette monnaie numérique de banque centrale vise à répondre à la demande croissante de moyens de paiement électroniques sûrs et fiables et favoriser la concurrence et l’efficacité dans le secteur européen des paiements. Dans cet objectif, elle devra être accessible, robuste, efficace, conforme au droit et assurer un niveau élevé de protection de la vie privée. Mais il s’agit surtout de renforcer la souveraineté numérique et monétaire de la zone euro dans un contexte de forte avancée de l’Asie sur sa devise digitalisée et de compétitivité des États-Unis avec des initiatives privées dans le domaine très régalien de l’émission de monnaie, à l’instar du projet avorté de diem par Meta, une devise électronique adossée sur le dollar. La « raison d’être » de l’euro numérique dans une économie numérique est de limiter le risque de recours à des actifs numériques externes, qu’ils soient des crypto-monnaies privées ou des monnaies numériques non européennes, dans des transactions conclues au sein de la zone euro.

Une souveraineté inatteignable ?

Or, cette ambition de souveraineté numérique et monétaire, c’est-à-dire la capacité de la BCE à réglementer et contrôler la technologie et la monnaie utilisées par les citoyens européens et son territoire, a été récemment mise à mal par la sélection d’Amazon par la BCE en tant que l’un des cinq partenaires chargés de développer des prototypes d’interfaces utilisateurs pour son projet d’euro numérique. Bien qu’il ne s’agisse que d’expérimentations, d’autres acteurs européens du e-commerce auraient pu être retenus alors qu’Amazon fait l’objet d’inquiétudes régulières quant à sa politique fiscale et la protection des données personnelles, au risque de favoriser la dépendance des technologies de l’euro numérique à des normes non européennes. De quoi relancer le débat sur les limites du pouvoir de la BCE qui a émergé lorsque l’institution s’est lancée après la crise des subprimes de 2008 dans un fort soutien à l’économie, alimentant les bulles boursières et immobilières, sans contrôle démocratique.

Les banques commerciales émettent elles aussi des réserves quant à leur propre souveraineté. L’euro numérique viendrait réduire leur rentabilité dans la mesure où une partie de leur modèle de rémunération sur les paiements repose sur les échanges entre cartes bancaires. Au cas où les clients déplaceraient massivement leurs avoirs vers un euro numérique logé à la banque centrale, il diminuerait les dépôts dans les bilans bancaires et pèserait sur la capacité de financement de l’économie. La BCE rassure sur le risque limité de bank run ou de fuite des dépôts en plafonnant la détention d’euros numériques à 3.000 euros par personne.

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Arbitrer entre le respect de la vie privée et les objectifs de lutte contre le trafic de drogue, le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, limiter le succès rencontré pour éviter d’évincer l’intermédiation financière tout en veillant à susciter une demande satisfaisante en apportant une valeur ajoutée aux utilisateurs… Les derniers ajustements conceptuels de l’euro numérique avant toute émission éventuelle seront essentiels pour une zone euro plus souveraine.

Par Sabrine Ayed, Enseignante-chercheuse en finance à l’EMLV et Timothée Waxin, Enseignant-chercheur en finance, Responsable du département Finance, data & performance à l’EMLV

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