Les nouvelles formes d’organisation du travail se sont imposées dans la plupart des entreprises et ont bousculé le monde des ressources humaines. De nouvelles priorités ont émérgé, de la fléxibilité et l’adaptabilité des espaces de travail à la quête de sens, qui se traduit par de nombreuses tensions, réconversions en tout genre et changements de fonds dans les pratiques. Après l’adaptation, l’heure est-elle aussi à la flexibilité ? Comment les DRH s’imaginent-ils le travail en 2030 ?
Ultra flexibilité du travail, sens, RSE, développement durable, montée en compétences continue… Sébastien Tran, directeur de l’EMLV, directeur général du Pôle Léonard de Vinci, et Akim Berkani, chercheur à l’Université Paris Dauphine – PSL, décryptent les nouvelles formes de travail pour The Conversation.
Comment les DRH se représentent le travail de demain
Sébastien Tran, Pôle Léonard de Vinci et Akim Berkani, Université Paris Dauphine – PSL
Une récente étude du cabinet One Point publiée en 2022 souligne qu’un actif sur deux a déjà entrepris, pensé ou pense à une reconversion. Autre chiffre de cette étude, pour 93 % des personnes interrogées, les actifs changeront de nombreuses fois de métier au cours de leur carrière. Dans la presse se multiplient les articles et témoignages concernant les changements de carrière, de mode de vie, etc. avec en caisse de résonnance le phénomène de « grande démission » observable aux États-Unis.
Ce phénomène traduit une transformation sociétale profonde avec une évolution des pratiques de travail, notamment le développement du travail à distance avec une crise sanitaire qui a agi comme un catalyseur dans l’ensemble des secteurs d’activité. Cette transformation repose également sur le développement des technologies de l’Information et de la communication (TIC) qui ont engendré de nouvelles formes de travail déspatialisées et de nouveaux modes de gestion qui ont déjà été étudiés auparavant, mais souvent sous l’angle du travail à distance.
De la flexibilité et du sens
C’est dans ce contexte que le cabinet Obea et l’École de Management Léonard de Vinci ont décidé de lancer en 2022 une chaire sur les nouvelles expériences du travail (NeXT) qui a pour objectif d’identifier les impacts des changements de fonds dans au niveau des pratiques de travail des individus et des modes d’organisation au sein des entreprises. L’objectif de cette chaire est d’analyser également les innovations managériales, les agencements des espaces de travail et le rôle des TIC en tant qu’artefact de structuration des pratiques de travail.
Un premier travail a été réalisé avec une étude auprès d’un panel représentatif de 49 responsables des ressources humaines (DRH), issus d’entreprises de toutes tailles et de tous les secteurs, à partir d’un questionnaire en ligne diffusé entre mars et avril 2022, en parallèle d’un hackathon avec des étudiants sur le thème « Le travail en 2030 : dans la peau d’un DRH ».
Dans la synthèse, plusieurs tendances se dégagent. À la question posée, « quand vous pensez au travail de demain, quels mots vous viennent spontanément à l’esprit ? », les résultats montrent un impact important en matière d’organisation du travail avec les notions « d’hybride, de flexibilité et de sens ». Les deux premiers concepts sont très liés au travail à distance (notamment le télétravail) qui est étudié depuis de nombreuses années, mais dont la part était restée dans les faits marginale jusque-là.
La notion « hybride » témoigne que le travail à distance n’est pas opposé au travail en présentiel et que la vraie problématique porte sur la répartition et l’encastrement organisationnel des deux modalités au sein d’une même organisation.
En effet, le travail à distance n’est pas forcément la reproduction des tâches d’un travail en présentiel et pose les questions, au-delà de ses modalités (nombre de jours, lieux, etc.), de l’éligibilité des profils et de la coordination du travail, tout en maintenant du sens et de l’engagement pour les collaborateurs.
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L’un des faits marquants est que l’on est passé d’un modèle où la norme était « travail en présentiel majoritaire/travail à distance minoritaire » à un modèle plus équilibré entre les deux modalités d’organisation (souvent on retrouve une norme de 2 à 3 jours de télétravail dans les organisations). Or, même si le travail en présentiel reste prédominant comme modalité, le déplacement du curseur entre les deux modalités engendre des impacts très importants au sein des organisations.
RSE et DD
Concernant la question « selon vous, quelles sont les évolutions du travail de demain les plus positives ? (hiérarchisez les 3 points les plus importants parmi la liste suivante) », on retrouve trois dimensions assez marquées mais pas si éloignées des préoccupations des étudiants : le développement des compétences en continu, l’équilibre de vie et les aspects de responsabilité sociétale des entreprises (RSE) et de développement durable (DD).
Dans le cadre de l’étude, la question a également été posée sur les impacts négatifs : « quelles sont vos craintes éventuelles lorsque vous imaginez le travail de demain ? (hiérarchisez les 3 points les plus importants parmi la liste suivante) ». Sans surprise, avec le développement du travail à distance et la multiplication des outils, on retrouve des facteurs comme la surconnexion, la surcharge informationnelle et l’isolement des collaborateurs.
L’une des thématiques de la chaire sera d’étudier comment les TIC peuvent, en tant qu’artefact, contribuer à structurer les pratiques de travail et encastrer les modalités de travail à distance et de travail en présentiel. La désynchronisation des espaces-temps et des lieux s’est accentuée et engendre de nombreuses problématiques managériales, avec également des pratiques et attentes intergénérationnelles très différentes au sein des organisations.
Une incertitude croissante
Enfin, une dernière partie de l’étude concernait les qualités et compétences principales à mettre en œuvre dans le travail de demain ? (hiérarchisez les cinq premières parmi la liste suivante). Les trois premiers facteurs cités (gérer l’incertitude, l’agilité et l’intelligence émotionnelle) peuvent être mis en perspective par rapport aux questions précédentes, à une difficulté croissante de savoir « de quoi demain sera fait » et une incertitude croissante, la pandémie du Covid-19 étant un marqueur fort dans les esprits des DRH.
Cela correspond d’ailleurs à une tendance dans les formations proposées sur le management en environnement incertain et/ou complexe, notamment en executive education.
Sébastien Tran, Directeur de l’École de Management Léonard de Vinci (EMLV), Pôle Léonard de Vinci et Akim Berkani, Chercheur, Université Paris Dauphine – PSL
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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