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Les incubateurs sont-ils devenus indispensables à l’innovation ?

Une tribune de Sébastien Tran, Directeur de l’EMLV, parue dans The Conversation.

Le premier incubateur a été créé en 1959 au sein de la New York Factory (Batavia Industrial Center). Depuis, et notamment à partir des années 1990, on a assisté à la prolifération des incubateurs dans la plupart des pays industrialisés. Selon les estimations de la National Business Incubator Association (NBIA), on recense actuellement plus de 7 000 incubateurs dans le monde et une très forte concentration dans certaines métropoles comme Paris, Londres, Berlin, etc.

On distingue généralement les incubateurs publics issus d’universités, d’écoles ou de centres de recherche, des incubateurs privés à l’initiative d’entreprises ou d’acteurs privés tels que des business angels ou d’investisseurs individuels. Cela témoigne d’un engouement marqué pour ce nouveau type d’intermédiaire qui doit favoriser la dynamique d’innovation et l’entrepreneuriat dans de nombreux secteurs (biotechnologies, numérique, industries créatives, etc.).

Un intermédiaire protéiforme qui a évolué depuis l’apparition du concept

Derrière le terme incubateur se cache une réalité complexe d’offre de services aux start-up et des stratégies différenciées compte-tenu de leur multiplication. Au-delà d’une offre basique d’espace de travail ou de type co-working, les incubateurs ont élargi leur offre en proposant des services à plus forte valeur ajoutée comme des formations, du conseil à la création d’entreprise, de la mise en relation entre des acteurs du territoire ou à l’international (networking avec des entreprises, des universités, des centres de recherche, etc.) et plus récemment de connexions avec des financeurs de projets (grands groupes, business angels, etc.).

Toutes ces évolutions les amènent ainsi parfois à être confondus avec les accélérateurs, avec notamment la montée en puissance de ressources intangibles accessibles aux entreprises hébergées (la diffusion de connaissance, l’acquisition d’expertise technique ou marketing, etc.).

Incubateur et accélérateur sont de plus en plus confondus en un seul intermédiaire du fait de l’évolution des services proposés. On retrouve dans l’offre des incubateurs de 3e génération au moins quatre des cinq services suivants : l’accès à des ressources physiques, des services de « bureau », l’accès à du capital, des services de formation et des services de networking.

Bruneel et coll. (2012).

Source : Bruneel et coll. (2012)

Cet élargissement de leurs services a ainsi permis d’identifier trois générations successives d’incubateurs qui se traduisent par l’accroissement des ressources immatérielles, en parallèle des ressources matérielles. Par ailleurs, certains incubateurs ont acquis une certaine réputation dans l’écosystème d’innovation.

En France, on peut citer l’exemple emblématique de Station F mais aussi d’incubateurs plus historiques comme Agoranov ou Paris & Co avec ses incubateurs spécialisés. La plupart des écoles d’ingénieurs ou de management possèdent également leur incubateur qui sont accessibles à leurs étudiants dans une logique de « pré-incubation » qui a été facilité avec la création du statut d’étudiant entrepreneur via les comités d’engagement du PEPITE.

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Les incubateurs sont devenus en l’espace de quelques années un « passage obligé » pour de nombreuses start-up et sont un vecteur d’acquisition d’une certaine légitimité pour passer à l’étape suivante qui est la levée de fonds auprès d’investisseurs. Elles peuvent donc être un intermédiaire de « confiance » et deviennent alors un maillon de sélection dans la chaîne de création et de développement d’une start-up.

Station F à Paris.

Des problématiques émergentes pour la survie des incubateurs ?

Pour assurer leur pérennité et faire face à une certaine forme de concurrence dans certains territoires comme celui des grandes métropoles, les incubateurs se sont considérablement modifiés et beaucoup ont commencé à adopter des stratégies de différenciation (spécialisation dans un secteur d’activité, à une étape du cycle entrepreneurial, etc.) ou de coopétition sachant qu’elles fonctionnent dans un réseau très fermé.

Certaines études montrent ainsi que cela les porteurs de projets sont de plus en plus attentifs aux offres proposées et aux coûts à supporter durant la phase d’incubation, elle-même pouvant être très variable d’une structure à l’autre.

La question du business model des incubateurs est également devenue centrale y compris pour ceux qui sont soutenus par des organismes publics. Les incubateurs, en tant qu’intermédiaires, doivent assurer leur pérennité en diversifiant de plus en plus leur offre de service.

L’élargissement des services (tangibles et/ou tangibles) nécessitent des moyens de plus en plus importants (notamment en expertise, conseil) qui ne sont que partiellement couverts par les loyers versés par les entreprises incubées. Cette question est étroitement liée également à la gouvernance des incubateurs et à leur composition qui évolue vers l’arrivée d’acteurs privés.

Il n’est pas à exclure, comme cela s’est produit dans d’autres secteurs, un mouvement de consolidation et/ou de rapprochement entre les incubateurs, notamment dans des zones très concentrées. On verrait alors peut être apparaître une nouvelle génération d’incubateurs avec une taille et une offre plus étendue et des logiques plus affirmées de positionnement (ecosytem builder, deal-flow maker ou welfare stimulator) comme le montre la recherche effectuée par Pauwels et coll.. (2016).

L’une des questions est également quel est l’impact réel des incubateurs sur leur territoire. Les mesures de performance et d’impact restent encore en débat, notamment au niveau des critères à retenir (nombre d’entreprises créées, taux de survie à trois ans, etc.). Cela pose en parallèle également la question de la cohérence des mécanismes de support à l’innovation et à l’entrepreneuriat sur un territoire donné si les incubateurs s’éloignent des logiques de développement territorial.

Les incubateurs peuvent participer pleinement à l’attractivité d’un territoire mais aussi constituer une forme de détournement des initiatives publiques et privés si leur stratégie et leur positionnement est en décalage, d’autant qu’ils participent avec d’autres acteurs (les pépinières, les sciences parks, technopôles, etc.) à être un outil de politique économique et d’avantage concurrentiel des territoires.

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