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Instagram, image du corps, objectification… De nouvelles approches de la recherche en marketing digital

De nombreuses études s’accordent aujourd’hui à montrer les effets nefastes de la consommation de certains contenus  digitaux sur l’image de soi et la satisfaction corporelle. A l’ère de l’insta-célébrité, prendre connaissance du mécanisme d’auto-objectification de soi et faire connaître les risques associés aux médias sociaux représente un enjeu de taille pour les chercheurs en sciences de l’information et de la communication.

Un nouveau courant de recherche a émergé dans le marketing, consistant à étudier les effets problématiques des activités des médias sociaux sur le bien-être des utilisateurs : anxiété, stress, dépression, etc.

Hajer Kefi, responsable du départament Managament, Stratégie et Innovation de l’EMLV, membre du Digital Group du De Vinci Research Center,  apporte sa contribution en vue d’enrichir les réflexions sur les injonctions physiques véhiculées par les média sociaux visuels.

Son dernier article, « Beyond the shallows of physical attractiveness: Perfection and objectifying gaze on Instagram« , vise à faire la lumière sur les questions liées à l’image du corps et à l’objectification telles qu’expérimentées sur Instagram.

Au-delà des apparences physiques : regards et objectification sur Instagram

Le partage de contenus visuels (photos et vidéos) fait partie des usages les plus fréquents des médias sociaux[1]. Ces derniers favorisent l’élargissement du capital social et l’expression de soi. Ce sont aussi des espaces où les utilisateurs se mettent en scène et où l’apparence physique semble primordiale. On y relève en effet la mise en avant de standards de beauté difficilement atteignables et une sur-représentation des corps des femmes.

Ce phénomène n’est pas récent et concerne depuis des décennies les médias traditionnels et les espaces publicitaires. Il semble en revanche amplifié par les réseaux sociaux et auprès des jeunes générations.

Dans notre recherche, publiée dans la revue International Journal of Information Management en août 2022, nous avons conduit une série d’expérimentations auprès de 700 utilisateurs et utilisatrices du réseau social Instagram en les exposant à divers contenus médiatiques de corps (attractifs vs peu attractifs ; normaux vs idéalisés ; images retouchées vs non retouchées) et avons mesuré les perceptions des participant-e-s.

Nos résultats démontrent que les contenus proposant des images idéalisées de corps féminins suscitent plus d’objectification que ceux des corps ‘normaux’ (non idéalisés). De plus, l’absence de conformité par rapport aux stéréotypes de beauté en vigueur expose également à des pratiques objectifiantes, c’est-à-dire réductrices de la personne humaine à ce à quoi elle peut servir à autrui, soit à un objet.

De telles pratiques relèvent d’une certaine norme sociale qui semble largement acceptée sur ces réseaux, notamment par les utilisateurs (hommes).

Nous nous sommes appuyés sur la théorie psychosociologique de l’objectification[2] car elle permet d’examiner de manière scientifique un phénomène mis en avant depuis au moins la seconde moitié du 20ème siècle par de nombreux écrits souvent attribués à la mouvance féministe[3].  Selon les psychologues américaines Barbara Fredrickson et Tomi-Ann Roberts[4], la société occidentale met davantage de pression sur les femmes concernant leur apparence physique que sur les hommes.

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De plus, l’exposition très tôt à des images de corps féminins sexualisés, idéalisés et stéréotypés conduit les femmes à intégrer l’idée qu’elles sont principalement évaluées par autrui en fonction de leurs attributs physiques.

On parle alors d’auto-objectification, un phénomène qui semble exacerbé par les réseaux sociaux et dont les conséquences peuvent être la dépression, l’anxiété et les troubles alimentaires, notamment chez les adolescentes.

Pour contrecarrer ces méfaits, des mouvements tels que ‘Body Positive’ ont fait leur apparition dans les médias pour mettre en avant une diversité de morphologies.  De nombreuses marques ont suivi cette tendance dans leurs messages publicitaires, même si certaines sont soupçonnées de ‘récupérer’ ce courant à des fins purement commerciales.

Nos résultats apportent donc la preuve que la mise en scène de physiques parfaits sur les réseaux sociaux n’est pas forcément ‘vendeur’ pour les marques. En effet, les consommateurs privilégient la proximité avec un modèle perçu comme ‘normal et plaisant’, pouvant faire partie de la communauté. En revanche, mettre en avant des physiques atypiques n’est pas apprécié non plus car il est jugé stigmatisant et génère moins d’empathie.

Davantage de travaux sur cette problématique sont nécessaires. Ils auront pour ambition de faire évoluer les pratiques publicitaires et les comportements sociaux, de manière à lutter contre les inégalités entre les hommes et les femmes et les expériences objectifiantes dans l’espace social qu’il soit réel ou digital.

[1] Boursier, V., Gioia, F., & Griffiths, M.D. (2020b). Selfie-engagement on social media: Pathological narcissism, positive expectation, and body objectification–which is more influential? Addictive Behaviors Reports, (p.100263)

[2] Nussbaum, M. C. (1995). Objectification. Philosophy & Public Affairs, 24, 249–291.

[3] A l’exemple de l’Ouvrage le Deuxième Sexe de Simone de Beauvoir paru en France en 1949.

[4] Fredrickson, B. L., & Roberts, T.-A. (1997). Objectification theory: Toward understanding women’s lived experiences and mental health risks. Psychology of Women Quarterly, 21, 173–206.

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