Dans cette tribune parue dans Le Monde des Grandes Ecoles, Béatrice Durand-Mégret, enseignant-chercheur et responsable de la Filière Marketing Innovation & Distribution livre son analyse sur l’enseignement centré sur l’innovativité des étudiants.
Cette mutation est d’ailleurs largement co-produite par les jeunes, remettant en cause le rôle du professeur.
Au travers des blogs et autres Facebook, les jeunes se racontent, créant leur propre histoire, déconnectée de celle de leurs ancêtres. La mise en commun de leurs récits constitue une culture générationnelle en perpétuelle mouvance, au fil de leurs « posts », où leur singularité individuelle s’incrémente à celle de leurs pairs (De Singly, 2010). L’histoire devient une denrée périssable face à l’immensité des informations toujours nouvelles postées sur la toile. Avec l’immédiateté rendue possible par les technologies numériques « le sacre du présent » (Laïdi, 2000) efface l’histoire et éloigne le futur.
Les nouveaux codes de l’information
Aussi, l’information, au travers de l’élargissement du champ de sa diffusion à l’infini, permet l’émancipation de tout un chacun. Il en est de même pour les jeunes, nos étudiants, qui ne répondent plus aux instructions ou règles des institutions. Elles perdent de leur légitimité, qu’il s’agisse de l’éducation, du politique (Finchelstein, 2011) ou des instances médiatiques de plus en plus suspectées et de moins en moins utiles, compte tenu de la coappartenance universelle de l’information grâce aux TIC et autres Twitter. Le totem (transmission des connaissances par les anciens) s’horizontalise pour devenir une fresque (partage intragénérationnel avec les pairs).
Comment l’enseignant peut-il s’intégrer dans cette fresque dont il est, par définition, exclu ?
Dans ce monde réinventé tous les jours par l’abondance de l’information, l’instantanéité et l’auto-apprentissage – source d’autocréation – les enseignants ont un nouveau défi : quelle place doivent-ils donner à quelle connaissance et comment peuvent-ils favoriser l’innovativité de leurs étudiants, inventeurs du monde de demain, mais également, déjà, de celui d’aujourd’hui. Dans quelle mesure, les cinq forces de Porter et autres lois de Pareto nourrissent-elles encore le potentiel d’innovativité de nos marketeurs d’aujourd’hui, mais aussi de nos étudiants ? A l’inverse, dans quelle mesure est-il possible d’enseigner des informations trop récentes pour avoir été étudiées et éprouvées ? Quelles informations inexplorées par les étudiants reste-t-il aux enseignants lorsque le pourvoir du savoir, dorénavant partagé par tous, n’est plus l’apanage des professeurs ? Faut-il faire étudier par les adolescents un passé infime face à la coproduction surabondante du présent ?
Inscrire l’enseignement dans une nouvelle logique s’impose
Les étudiants (qui étudient des concepts datés et reconnus) deviennent des « Erudiants », puisqu’ils apprennent par eux-mêmes et co-produisent les nouvelles connaissances. Les enseignants doivent donc avoir dorénavant un rôle de catalyseur de ces informations accessibles à tous. Ils doivent également en faciliter l’analyse, la capacité à détenir l’information n’étant plus une fin en soi. C’est son traitement qui modifie l’ordre des choses. A l’image de la valeur ajoutée issue tu traitement de la matière première, l’information traitée, organisée, assemblée, en fait toute sa valeur. Les enseignants doivent aider cet « Erudiant » à s’approprier une nouvelle forme de gestion de cette connaissance. En lui apprenant à être actif devant son clavier (et non passif comme devant un téléviseur), il intègrera l’information de manière appréhender et gérer différemment l’information qui nourrit son imaginaire et son mental (Serres, 2012). Ainsi acteur de sa connaissance, son auto-apprentissage pourra donner place à une forme d’auto-création porteuse de valeur pour la société qui l’entoure.
Le lieu, l’école, doit également prendre une autre forme
Alors que l’espace physique se désintègre dans un virtuel étirant le temps où passé, présent et futur s’entremêlent, l’école doit développer une forme de relation ubiquitaire entre enseignants et « Erudiants ».
Le lieu physique, limitant l’espace et le temps, ramenant le rêveur à la réalité, ne peut plus être l’épicentre de la créativité. Alors que, désormais, seul le mélange des espaces, réels et virtuels, peut donner de l’espace à l’imagination, l’école peut être le « lieu » de déploiement de cette magie intellectuelle dès lors qu’elle favorise une exploration multi-dimentionnelle permettant de faire émerger l’innovativité. C’est dans cet univers à la fois ubiquitaire et multi-dimensionnel, loin des discours établis, que le professeur aidera cet « Erudiant » à se façonner lui-même, façonner le monde, et créer la nouvelle réalité.
L’EMLV a bien compris cette mutation. En renforçant les soft skills, le sens de l’analyse et d’un esprit critique sont développés dès la première année. Les cours en face à face, au travers de vidéos et de cours magistraux en ligne alternent tout au long des modules, quelle que soit la discipline. Les « Erudiants » explorent les sources d’informations pour bénéficier de la pédagogie inversée, et pratiquent la création de vidéos, blogs et autres Twitter pour délivrer le produit de leur travail.