Dans son article intitulé « De la médiation muséale à la médiation sociale : la transformation digitale des organisations doit-elle aussi inclure les musées ? », Kefi Hajer, professeur-chercheur à l’EMLV, explore le rôle joué par les Technologies de l’Information et de la Communication (TIC), plus spécifiquement celui des médias sociaux, dans la reconfiguration des processus de médiation (« Kulturvermittlung ») mis en œuvre par les musées dans le cadre de leur transformation numérique.
Elle y a adopté une méthodologie de recherche mixte, comprenant une étude qualitative menée au sein d’une sélection de musées en France, une enquête sortie de musée au Louvre (Paris, France) et enfin une enquête quantitative en ligne.
Ses résultats mettent en avant le concept de médiation sociale et illustrent l’évolution des processus de médiation muséale. Ces derniers sont davantage axés sur la transformation de l’expérience du visiteur d’un format réceptif (consommation de contenu informatif et divertissant) à un format interactif et collaboratif, afin de mieux répondre aux besoins des visiteurs et construire des expériences du type multi-canal que nous appelons ‘omni-visite’. Ainsi, les implications théoriques et managériales de cette approche sont discutées.
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La transformation digitale des musées
La transformation digitale est vécue comme un impératif pour la plupart des organisations. Dans quelle mesure les organisations d’héritage culturel comme les musées ont-elles également été transformées sous l’impulsion des technologies de l’information et de la communication ?
De nombreux dispositifs technologiques ont été mis en place dans les musées, tels que les applications mobiles physiques et en ligne, les audioguides, les dispositifs de réalité virtuelle, augmentée et mixte, les sites web et les médias sociaux.
Certains y sont favorables, car ils y voient un moyen de mettre en place des pratiques innovantes, plus inclusives et propices à l’accès à l’art pour de nouvelles catégories de public.
L’edutainment : on parle de quoi ?
On parle ici d’associer conjointement des pratiques éducatives et de distraction, ce que l’on appelle edutainment. D’autres s’y opposent, considérant que le Digital est une atteinte à l’interaction authentique avec les objets exposés.
Nous adoptons dans notre recherche une approche socio-matérielle menée autour du construit de médiation culturelle que l’on rattache à la théorie de l’acteur réseau.
Ce construit est défini comme un processus d’acquisition et de négociation des connaissances sur les arts et les phénomènes sociaux ou scientifiques auxquels prennent part plusieurs protagonistes, les professions des musées et les visiteurs, le médiateur pouvant être humain ou non humain.
Le musée est lui définit comme un espace socialement construit, qu’il soit physique ou virtuel ou des expériences muséales peuvent être cocréées.
Nous adoptons une approche empirique mixte qui comprend trois études, une étude qualitative menée au sein d’une sélection de musées d’art en France les grands musées parisiens et dans les grandes métropoles Marseille, Lyon, Lille ainsi que des musées régionaux moins connus.
Une enquête sortie de musée mené au Louvre Paris et enfin une enquête quantitative en ligne.
L’évolution des modes de médiation muséale
Nos résultats mettent en lumière une évolution des modes de médiation muséale, du mode réceptif unidirectionnel du curateur conservateur vers le visiteur au mode interactif dialogue entre curateur et visiteur et enfin au mode participatif, possible intégration du visiteur dans les processus curatifs.
Ce sont donc les modalités d’appropriation de ces outils de part et d’autre, les professionnels des musées, visions stratégiques et pratiques opérationnelles, et des visiteurs, dimension praxéologique qui gênent un potentiel plus ou moins important de transformation.
Il ne s’agit pas ici évidemment de remplacer les musées physiques par des musées digitaux ou virtuels. Après l’expérience de la covid la fréquentation réelle des musées a fortement augmenté.
Nous assistons en revanche à d’autres formes d’interaction du type omnicanal où les expositions sortent du musée pour investir le cœur de la cité et où des débats interculturels, scientifiques et éthiques peuvent avoir lieu notamment via les médias sociaux.
Dans nos entretiens, on a pu voir que ces débats permettent en outre de rendre plus visible des problématiques actuelles impliquant des communautés élargies de visiteurs qui peuvent être liés au post-colonialisme, aux différentes formes de discrimination et notamment la place des femmes dans les arts.
Ce travail contribue donc à enrichir le concept de médiation culturelle et de voir comment son application dans les pratiques managériales des musées permet à ses institutions de prendre pleinement place dans le secteur expérientiel et culturel.