Les enjeux géopolitiques comme climatiques ont fait successivement leur entrée depuis plusieurs années dans de nombreux programmes en école de management, aux côtés des enseignements en sciences de gestion. Parfois introduits ou considérés il y a quelques années comme des enseignements « d’ouverture », ils sont de plus en plus structurants dans les formations en école de management, comme le futur Bachelor Affaires et relations internationales de l’EMLV.
Les enjeux de transition énergétique en Europe illustrent en particulier cette hybridation des compétences économiques, entrepreneuriales, climatiques et géopolitiques attendue des responsables de demain.
Un article de Bastien Nivet, Docteur en science politique (UE, international).
La transition énergétique, un impératif avant tout climatique et environnemental
Dans un contexte de prise de conscience accrue de l’impact des activités humaines sur l’environnement et l’atmosphère au cours des dernières décennies, le concept de transition énergétique désigne les transformations des modes de production, utilisation et consommation d’énergie dans les économies et sociétés. Il s’agit notamment de « décarboner les sources d’énergie, les rendre soutenables à long terme et accessibles à tous de manière sécurisée ».
Cela peut passer — notamment pour les entreprises — par des mesures de sobriété et d’efficacité énergétique, par le recours à de nouvelles sources d’énergies, plus durables et renouvelables. Il existe aussi une dimension économique et sociale à cette transition énergétique : rendre sûrs, accessibles et financièrement abordables les approvisionnements.
Les objectifs de cette transition sont connus : lutter contre les gaz à effet de serre pour protéger les écosystèmes et lutter contre le changement climatique et ses différentes manifestations. Leur prise en compte par les acteurs politiques et économiques est plus progressive.
Ainsi, vingt ans ont séparé le célèbre « notre maison brule, et nous regardons ailleurs », du Président Jacques Chirac au Sommet de la Terre de Johannesburg de 2002, et l’affirmation « qui aurait pu prédire (…) la crise climatique » de son lointain successeur Emmanuel Macron lors de ses vœux à la nation le 31 décembre 2022. La décarbonation des économies et la transformation de nos modèles de production et de consommation n’est pas un long fleuve tranquille.
Des avancées réelles sont malgré tout notables, notamment à l’échelle de l’Union européenne (UE), pour conjuguer préoccupations climatiques, efficacité économique et sécurité des approvisionnements. L’UE s’est ainsi engagée à réduire de 55% ses émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030 (par rapport à 1990), et à devenir le premier continent à neutralité carbone d’ici 2050.
Pour l’Union européenne, un impératif de souveraineté aussi géopolitique
De la part de l’UE, ce volontarisme politique affiché répond autant à une volonté de se montrer à la hauteur des défis climatiques et de respecter les engagements pris lors des accords de Paris sur le climat en 2015, qu’à un impératif géopolitique : l’union européenne importait en 2021 56% de son énergie (pétrole et gaz en particulier), et en produisait 44% (nucléaire et renouvelables notamment). Ce taux moyen de dépendance énergétique est à mettre en regard d’une grande hétérogénéité de situation entre États membres, variant de 1% pour l’Estonie à 90% pour Chypre, Malte ou le Luxembourg (44% pour la France).
Mais dans ce secteur de l’énergie qui fut l’un des premiers secteurs de coopération et d’intégration entre États européens (la Communauté européenne du Charbon et de l’acier créée en 1951 et Euratom en 1957), l’UE ne peut se permettre d’être dans son ensemble dépendante de l’extérieur, non « souveraine » dans le domaine de l’énergie, dans un contexte géopolitique aussi instable.
L’invasion de l’Ukraine par la Russie en février 2022 et les sanctions économiques subséquentes ont favorisé la prise de conscience d’un besoin d’accélérer la transition énergétique en Europe non seulement pour des raisons climatiques, mais aussi économiques et géopolitiques.
Comme a pu le noter Frans Timmermans, alors Vice-Président de la Commission européenne et notamment en charge du climat : « Beaucoup voient la nécessité de se sevrer des énergies fossiles à cause de la crise climatique, mais tout le monde voit que nous ne pouvons plus dépendre des énergies fossiles et que la seule façon d’accroître notre souveraineté dans le domaine de l’énergie est d’opter pour les énergies renouvelables ».
En d’autres termes, la transition énergétique, indispensable d’un point de vue climatique, l’est aussi sur le plan économique et géopolitique, pour assurer la souveraineté énergétique européenne et l’autonomie stratégique de l’UE.
De la transition énergétique à « l’écologie de guerre » ?
Pour autant, les gouvernements des États membres ont dans un premier temps réagit souvent en ordre dispersé, en cherchant à développer de nouvelles voies d’approvisionnement en pétrole et en gaz (en provenance des États-Unis, du Qatar, de l’Azerbaïdjan, etc.), pour remplacer les importations en provenance de Russie.
Ces nouveaux contrats, terminaux gaziers ou gazoducs, développés en bilatéral et dans l’urgence au mépris des engagements climatiques de l’UE, risquent de « bloquer l’Europe dans un chemin de dépendance vis-à-vis du gaz fossile pour les décennies à venir», et exercer ainsi une inertie négative dans les prochaines années et décennies sur la transition énergétique de et dans l’UE.
Cela alors même que, d’après certaines études, l’UE pourrait viser l’auto-suffisance énergétique à l’horizon 2030, certes au prix d’investissements et de choix politiques extrêmement ambitieux.
Mais l’UE n’a pas encore basculé vers une « écologie de guerre » telle qu’évoquée par le philosophe Pierre Charbonnier. Celle-ci consisterait, dans le cadre d’un conflit généré par un État pétrolier, à revoir en profondeur nos approvisionnements et usages énergétiques pour se saisir de la transition et de la sobriété énergétique comme d’une arme pacifique.
Pour l’Union européenne, cette « guerre » pourrait par ailleurs devoir être menée sur plusieurs fronts contradictoires, le développement des énergies renouvelables créant d’autres dépendances économiques et géopolitiques potentielles, en particulier vis-à-vis de la Chine, acteur dominant dans des secteurs comme les batteries au Lithium, les terres rares ou le photovoltaïque.
Les enjeux de transition énergétiques incarnent finalement à la perfection ce que l’on espère des leaders et entrepreneurs de demain : trouver l’équilibre entre le bien commun (environnement, climat, lutte contre les inégalités), et les intérêts économiques et géopolitiques (souveraineté, sécurité), entre le court terme (coût des approvisionnements, marchés), et le long terme (changement de modèle, développement d’infrastructures, durabilité).
Pour en savoir plus sur le Bachelor Affaires et Relations Internationales
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