Une chronique de Fernanda Arreola, enseignante-chercheuse à l’EMLV en charge de l’entrepreneuriat et Gregory Unruh, professeur de leadership des valeurs, titulaire de la chaire Arison à la George Mason University, pour Harvard Business Review France.
« Le vrai pouvoir, c’est la connaissance. » Cette citation du philosophe Francis Bacon est l’une des maximes préférées des dirigeants. Pourtant, ce que vous « savez » peut en fait constituer un obstacle. Et si ce que vous « savez » vous entravait au lieu de vous aider ? C’est le paradoxe du « je sais tout ».
Le voile de l’omnipotence perceptuelle
Pour avancer efficacement dans la vie, il est fondamental de le faire comme si vous « saviez » ce qui se passe autour de vous. Si vous doutiez sérieusement de votre connaissance du monde, vous ne quitteriez jamais la maison. Nous appelons l’ensemble de ces connaissances « l’omnipotence perceptuelle », le sentiment d’être pleinement conscients de notre position dans un contexte ou une situation donnée.
Nous remettons rarement en cause notre sens de l’omnipotence perceptuelle, sauf, bien sûr, lorsque nous nous trompons. Demandez à quelqu’un ce que cela fait de se tromper. Celui-ci évoquera « la colère », « la gêne » ou encore « la honte » (lire aussi la chronique : « Quand la honte devient source de créativité »). Mais, en réalité, ces sentiments n’existent qu’une fois que nous découvrons que nous sommes dans l’erreur. Avant de le découvrir, avoir tort, c’est avoir raison.
L’embarras est généralement lié au fait que, quelques instants seulement avant cette découverte, nous défendions vigoureusement ce que nous « savions » être vrai. Cela a des conséquences sur notre capacité à persuader et à diriger. Celui qui nous interroge peut avoir le sentiment de nous affronter, de remettre en question notre identité et notre crédibilité. Et, pour défendre ce que « savons », nous sommes souvent prêts à sacrifier certaines relations.
Cette tendance est évidemment à l’origine de nombreux dysfonctionnements organisationnels. L’omnipotence perceptuelle nous aveugle, cache les réalités de l’entreprise et nous empêche de repérer certaines opportunités.
L’illusion de la connaissance
La science qui décrit la réalité est très différente de celle qui explique nos perceptions. Finalement, l’omnipotence perceptuelle n’est qu’un tour que nous jouent nos cerveaux. Le monde est trop grand et notre cerveau trop petit pour saisir avec précision la réalité. Par exemple, pour lire cet article, vous devez bouger vos yeux de mot en mot, ligne après ligne, car vous ne pouvez pas appréhender la totalité du document d’un seul coup d’œil. Ce qui est en dehors de votre champ de vision est en dehors de votre réalité.
La science a montré que la mémoire ne peut contenir qu’un nombre limité d’informations et que le cerveau ne peut traiter que sept informations à la fois. Pourtant, les situations professionnelles présentent un nombre presque illimité d’informations, ce qui conduit les psychologues à appeler ce sens de l’omnipotence perceptuelle, « l’illusion de la connaissance ».
Dans le cadre d’un programme de formation destiné aux dirigeants, nous proposons aux participants d’écouter l’enregistrement « Laurel versus Yanni », qui a marqué les esprits sur Internet au printemps 2018. Les dirigeants, eux aussi, se séparent inévitablement en deux camps : ceux qui entendent « Yanni » et ceux qui entendent « Laurel ». Ils écoutent les mêmes données objectives, mais vivent des expériences extrêmement différentes. Après discussion, les participants s’aperçoivent que coexistent deux monde : un monde « Laurel » et un monde « Yanni ». Même information, différents royaumes perceptuels.
Il s’agit pourtant d’un enregistrement très simple. Si cela peut créer deux réalités de perception distinctes, qu’en est-il des défis organisationnels complexes comme (fusion, lancement d’un nouveau produit, entrée sur un marché étranger, choix d’un nouveau P-DG) ? Combien de mondes existe-t-il pour résoudre les problèmes de votre entreprise ?
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