À l’heure où les questionnements sur le rôle et le statut des grandes écoles dans le contexte des grands enjeux sociétaux, éthiques, écologiques sont de plus en plus brûlants, Laurent Aléonard, directeur académique de l’EMLV, met un point d’honneur à trouver le bon cadre de réflexion pour resituer la performance des écoles. Coup de projecteur sur une tribune qui interpelle.
Avec un taux net d’emploi frôlant les 90 % dans les 6 mois suivant l’obtention du diplôme, les Grandes écoles sont largement et durablement plébiscitées par l’opinion publique, imperméable semble-t-il aux questionnements qui agitent le système de l’intérieur.
Les Grandes écoles, une valeur sûre
Une rapide comparaison des résultats de l’enquête CGE menée en 2016 et en 2019, sur la perception des Grandes écoles, démontre en effet la grande constance de l’opinion publique et des entreprises dans leurs appréciations et attentes : la qualité des enseignements y est plus que jamais garantie par la sélectivité à l’entrée, la reconnaissance internationale, l’accompagnement des étudiants et l’adaptation des formations au monde actuel sont autant de gages d’une insertion professionnelle rapide et réussie.
Ce n’est pourtant pas le moindre des paradoxes que ce satisfecit se double d’exigences, notamment de la part des recruteurs, toujours plus pressantes : davantage d’ouverture au monde, toujours plus de soft skills et de formation aux problématiques sociétales et environnementales, et surtout, l’hybridation accélérée des compétences des futurs diplômés, condition nécessaire – à défaut d’être suffisante – pour former aux métiers sous tension ou émergents.
Une remise en question
Dans le même temps, un collectif d’enseignants-chercheurs questionnait, dans une tribune au « Monde », début octobre, le statut que maintiennent les Grandes écoles (de management, mais aussi d’ingénieur), sous le vernis d’un volontarisme éco-responsable : les grands enjeux sociétaux, éthiques, écologiques y sont traités en termes de ressources à gérer et d’opportunités entrepreneuriales à saisir, et non en réponse aux besoins de transformation sociale, et par voie de conséquence, aux besoins des entreprises.
Cette remise en question trouve écho à l’échelle européenne dans un débat relayé par l’EFMD à propos des Business Schools: celles-ci doivent proposer un nouveau modèle visant à traiter les problèmes du monde économique plutôt que d’en prolonger les effets potentiellement négatifs. Il faut rompre avec l’hégémonie de la finance et de l’économie dans les formations au management, la performance des écoles se mesurera aux actions et à l’impact de leurs diplômés sur la société dans son ensemble, autrement dit sur la création de « valeur publique ». Les Business Schools y jouent désormais leur légitimité future et leur survie.
C’est bien la question de survie que Pierre Veltz abordait, il y a déjà plus de dix ans, dans un opuscule au titre assez provocateur « Faut-il sauver les grandes écoles ? « .
On y retrouvait toutes les raisons d’adorer les détester, mais aussi de détester les adorer : la sélectivité, en fonction des classements plutôt que des projets des élèves, le micro-élitisme, générateur de castes sociales, sans compter un rapport ambivalent à l’environnement, qui évolue par essais-erreurs tandis que le modèle académique dominant privilégie la reproduction plutôt que la prise de risque.
Aucun de ces débats ne semble entamer la confiance de la société française envers ses Grandes écoles, même si dans le même temps on ne compte guère sur les « élites » qu’elles produisent pour résoudre les grandes questions sociétales.
Se projeter pour s’adapter
Pour les responsables pédagogiques des écoles, il est difficile dans ces conditions de tirer des leçons de ce paradoxe, d’autant que comme le souligne Barbara Stiegler dans un essai éclairant :
« Le savoir scolaire, avec la stabilité que requièrent les connaissances académiques et le rythme lent que réclame la transmission pédagogique, ne peut être que structurellement « en retard » sur le rythme de l’évolution et dépassé par l’explosion des informations«
C’est sans doute dans le comportement des diplômés vis-à-vis de leur futur employeur que des pistes de réflexion sont à défricher : le candidat décrit par l’étude CGE/Ipsos de 2019 « doit pouvoir se projeter dans le coup d’après ». À nous maintenant de nous poser la question : dans quelle mesure nos débats d’aujourd’hui placent-ils les Grandes écoles dans la « société d’après » ?…
Une tribune publiée sur le site de Conférence des grandes écoles.Plus d’informations sur le programme Grande École de l’EMLV, école de management à Paris.