« Collier de perles », « soie », « ceinture » : si ces termes semblent a priori faire écho à l’univers de la mode, ils sont aussi et surtout au programme des enseignements en école de commerce sur la dimension géopolitique des activités entrepreneuriales et économiques.
Un article de Bastien Nivet, Docteur en science politique (UE, international).
À l’instar des étudiant(e)s du futur Bachelor Affaires et relations internationales de l’EMLV, nul ne peut plus ignorer, en effet, l’existence de ces « nouvelles routes de la soie » (Belt&Road Initiative en anglais) initiées par la Chine il y a plus de dix ans, et la stratégie navale du « collier de perles », consistant à assurer des points d’appui à la marine chinoise le long de ces routes commerciales maritimes.
La nature de ces nouvelles routes de la soie et les opportunités et défis qu’elles représentent pour les États et les entreprises restent pourtant difficiles à saisir.
Voies commerciales ou outil de la puissance émergente chinoise : de quoi les « nouvelles routes de la soie » sont-elles le nom ?
En annonçant l’initiative des nouvelles routes de la soie (Belt and Road Initiative en anglais) dans un discours à Astana (Kazakhstan) en 2013, le Président de la République Populaire de Chine (RPC) Xi Jinping lui fixait des objectifs aussi bien économiques (faciliter le commerce et les flux monétaires, développer les infrastructures de transport) que politiques (renforcer le dialogue et la compréhension entre les États).
Le développement d’infrastructures est la dimension la plus connue de cette initiative. Infrastructures terrestres le long d’axes terrestres reliant la Chine à l’Europe via l’Asie centrale et la Russie et/ou la Turquie et l’Iran. Si les investissements chinois n’en sont pas les seuls responsables, ils ont par exemple contribué à faire passer la valeur du commerce par voie ferroviaire Asie-Europe de 8 milliards de dollars en 2016 à 75 milliards en 2021.
Des infrastructures maritimes sont aussi concernées, le long d’une route maritime connectant la façade maritime chinoise, le Pacifique, l’Océan indien, le Moyen-Orient, l’Afrique orientale et l’Europe. Des infrastructures telles que les ports du Pirée (Grèce), de Hambantota (Sri Lanka) ont par exemple été construites ou modernisées grâce à des financements chinois dans le cadre de ces routes de la soie.
Enfin, les nouvelles routes de la soie sont aussi numériques, avec le développement d’infrastructures et interconnections digitales telles que le développement de la 5G. Au total, ce sont 932 Milliards de dollars qui ont été investis, dans l’espoir de dynamiser les échanges internationaux et surtout de soutenir ainsi le commerce et les exportations chinoises, mais aussi d’assurer les approvisionnements (en matières premières notamment) de la RPC.
La nature politique et géopolitique de ces nouvelles routes de la soie est aussi incontestable : en faisant référence au nom et aux trajets des routes commerciales initiées sous la dynastie des Han il y a deux-mille ans et qui avaient structuré les échanges entre l’Asie et l’Europe durant des siècles, le régime actuel de la République populaire de Chine entend rappeler la puissance et l’influence millénaires de la Chine, s’inscrire dans leur continuité, en tirer une légitimité. Plus encore, la structuration de ces routes de la soie par la signature de mémorandum binationaux, la mise an place d’un partenariat regroupant aujourd’hui 154 Etats et 32 organisations internationales, et l’organisation de sommets incarnant, au sens propre, ces interconnections des nouvelles routes de la soie permet à la Chine de structurer un réseau d’acteurs qui lui sont liés, connectés, (inter)dépendants.
La Chine se propose ainsi un « centre alternatif dans la mondialisation », par rapport aux États-Unis et à l’Union européenne (UE) par exemple. Le projet des nouvelles routes de la soie est donc aussi bien commercial et logistique que géopolitique, s’inscrivant dans le « rêve chinois » énoncé par le Président Xi Jinping et visant à faire de la Chine la première puissance mondiale d’ici le milieu du siècle en cours. D’où un accueil inégal de cette initiative dans l’UE.
Face aux nouvelles routes de la soie, les entreprises et États européens entre interdépendances et crainte de nouvelles dépendances
Ces nouvelles routes de la soie représentent-elles une opportunité ou une menace pour les entreprises et les gouvernements français et européens ? Comment tirer profit de l’interdépendance inévitable, et potentiellement profitable d’avec la Chine dans la mondialisation, sans tomber dans de nouvelles formes indirectes de dépendances ou de compétition désavantageuse ?
Les États membres de l’UE ont répondu différemment à ces questions.
L’Italie a ainsi signé en 2019 un partenariat avec la Chine dans le cadre des nouvelles routes de la soie prévoyant des investissements chinois à hauteur de 2,5 milliards d’euros, dans le but notamment de développer les ports de Gênes et Trieste, avant d’annoncer se retirer à l’automne 2023 de ce partenariat. Seize États d’Europe centrale et orientale (membres de l’UE ou non) ont fait le choix de participer au format « 16+1 », un cadre de partenariat entre ces pays (les 16) et la Chine (+ 1).
Cela avait suscité des craintes de la part d’institutions de l’UE redoutant que la Chine ne fragilise la cohésion économique, commerciale et diplomatique entre les Etats membres, et rappelant que « En l’absence d’une totale unité, ni l’UE ni aucun de ses États membres n’est réellement en mesure de parvenir à ses fins avec la Chine ».
Sur le plan politique et diplomatique, l’UE et ses États membres restent dans une attitude globale de méfiance vis-à-vis des nouvelles routes de la soie, percevant cette initiative et les projets y afférant davantage comme une rivalité voire une menace à contrer que comme une opportunité à saisir.
Du côté des entreprises, certaines, dans le secteur des transports et de la logistique notamment, ont une vision plus opérationnelle, percevant certes des risques concurrentiels, mais aussi des opportunités en matière de développement d’infrastructures, de de levier de croissance, d’opportunité de coopération avec des acteurs économiques chinois ou de pénétration du marché intérieur chinois. Une note de 2020 de la Chambre de Commerce et d’Industrie de Paris (CCI) plaidait ainsi pour l’adoption, par la France et l’UE, d’une stratégie de « Coopétition » , alliant partenariat si possible, compétition si nécessaire selon les secteurs et enjeux.
Malgré un bilan contrasté et des désillusions, le projet des nouvelles routes de la soie est devenu un élément structurant aussi bien de la politique intérieure et extérieure de la Chine que de la mondialisation.
Ses ambitions, contours, succès et limites demeurent difficiles à évaluer avec précision, si ce n’est dans leur capacité à illustrer la nature de la puissance chinoise émergente, et les questionnements et défis qu’elle pose aux autres États.
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