Michel Dalmas, enseignant-chercheur à l’EMLV en Ressources Humaines, s’intéresse sur une nouvelle conception du travail observé dans les PME et les PMI françaises sur le partage des responsabilités entre tous les salariés d’une entreprise quel que soit leur positionnement hiérarchique.
Dans un article paru sur The Conversation en février 2016, Michel Dalmas prend l’exemple de plusieurs entreprises pour lesquelles cette nouvelle forme de management décomplexé, basé sur la confiance réciproque entre managers et salariés. Avec des effets sensiblement visibles sur les performances des entreprises en question…
Entreprises libérées : une nouvelle manière de faire confiance…
Des entreprises qui revendiquent le droit à l’erreur pour leurs salariés, cela existe ! En particulier depuis que l’entreprise Chronoflex, spécialisée depuis 1995 dans le dépannage de flexibles hydrauliques sur site s’est lancée à partir de 2009 dans le partage du pouvoir et des responsabilités entre tous ses salariés. De l’aveu de son directeur, Alexandre Gérard, désormais, rien ne sera plus comme avant !
Cette nouvelle expérience de partage des responsabilités tendrait actuellement à prendre de l’ampleur, si l’on en croit les observateurs du management dans les PME et les PMI de l’hexagone.
Ainsi la fonderie Favi, qui se présente elle-même comme « entreprise libérée de première génération » a transformé son schéma de production basé désormais sur la confiance et impliquant la suppression pure et simple de ses pointeuses. C’est également le cas de l’entreprise Sew Usocome, spécialisée dans la fabrication de moteurs, génératrices et transformateurs électriques, qui associe ses salariés à la création de profits, cultivant une certaine forme de transparence sur des sujets autrefois tabous. Cette nouvelle conception du travail se manifeste symboliquement chez Sew Usocom par des espaces de travail désormais sans cloisons avec l’ouverture d’une salle de sport, à disposition de chacun !
Un management décomplexé
Mais en quoi consiste ce nouveau type de management « décomplexé » qui n’a plus peur de faire confiance ? Quelle est donc cette nouvelle conception des organisations apparemment sans hiérarchie intermédiaire ?
Pour décrire cela, il est utile de rappeler quelles sont les valeurs qui cimentent ainsi les relations des salariés des « entreprises libérées ». De prime abord, il s’agit d’une remise en question profonde du contrôle hiérarchique et de ses effets sur les employés. On parle dans ce cas de développer la capacité d’écoute des dirigeants, de la disparition des symboles et des privilèges dus aux statuts, de la disparition des horaires imposés, du principe de subsidiarité pour les salariés, et de la disparition des contrôles… En termes de valeurs, comment décoder le message qui se cache derrière ces nouvelles pratiques ?
Confiance et volontariat
Tout d’abord, rien ne serait possible sans la confiance mise dans le talent des hommes qui composent les équipes sur le terrain et que l’on invite à devenir de véritables apporteurs d’affaires. Chez Chrono Flex, un nouveau système de rémunération variable permet de partager les gains ainsi générés. La règle des trois fois quinze permet de redistribuer 45 % de toute marge nette rapportée par les employés, apporteurs d’affaires (15 % de prime pour celui qui rapporte une affaire, 15 % pour l’équipe dont il dépend et 15 % pour l’ensemble de ses collaborateurs) ; de quoi susciter un certain dépassement de soi, en contexte de crise !
Ensuite, le volontariat devient de mise ; il est bien connu que la contrainte génère en général l’effet inverse, c’est-à-dire la résistance au changement, si bien qu’en contexte de liberté dans la mise en œuvre, les personnes se sentent investies d’une responsabilité et cherchent à suivre ceux qui innovent. La notion de contrôle devient totalement révolue puisque justement il est question de créer les conditions de l’autonomie et les individus, devenus responsables de leurs actes, sont capables de s’autocontrôler !
Exit donc les « caporaux » ou cadres intermédiaires chargés exclusivement de contrôler les troupes, sur le théâtre des opérations. La liberté d’action devient ainsi la norme, avec, cependant, comme le rapporte Alexandre Gérard, son lot d’inquiétudes pour certains salariés qui attendent « pour voir », qui restent « dubitatifs » ou qui sont en recherche d’un management plus directif. Mais l’effet d’entraînement est en général assez puissant pour tirer dans son sillage les managers les plus récalcitrants à suivre ce changement de cap.
Enfin, la culture du droit à l’erreur devient la norme, ce qui représente en soi une révolution ! Commettre des erreurs, dès lors que l’intention est d’innover, d’être un apporteur d’affaires n’est plus un problème, mais presque une qualité reconnue. Adieux la culpabilité et la peur de mal faire, bonjour l’esprit de conquête et de transformation dans la manière de travailler !
Des effets sur la marge
Chez Chronoflex, devenue entre-temps le groupe Inov’On, la réussite ne se fit pas attendre, et dès l’année qui suivit la mise en place de ce nouveau management, la marge nette de l’entreprise fut multipliée par quatre ! Tant et si bien que cette success story devient exemplaire. Des entreprises connues pour leur niveau de performance (Michelin ou le groupe Mulliez) sollicitent Inov’On, afin de découvrir et d’intégrer au niveau organisationnel les principes qui ont permis ce succès.
Ce qui les intéresse en particulier : l’organisation systématique de l’autonomie, la confiance comme valeur cardinale, le partage des gains générés par l’ingéniosité de chacun et la mise en œuvre effective de l’intelligence collective. Des séminaires de découverte et de formation par l’exemple sont ainsi organisés sur site par Inov’On.
L’histoire est en marche : nombreuses sont en effet les entreprises qui cherchent à se libérer d’un mode de fonctionnement basé sur le contrôle et le repli sur la ligne hiérarchique comme système de management, pour découvrir les bienfaits salutaires, en temps de crise, de la confiance et de l’intelligence collective.
Chacun devient ainsi responsable de lui-même, de ses objectifs et de son business, et, plus généralement, de son entourage professionnel, de ses proches et de toutes les parties prenantes qui composent son univers. Les mentalités évoluent, et, de l’avis de ses fondateurs, nécessite un vrai « lâcher prise », un difficile travail sur soi, chantier pour le moins déstabilisant quand on accumule des années de pratique fondées sur une conception opposée du travail et des hommes !
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.
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