Dans leur article publié sur The Conversation, Insaf Khelladi et Saeedeh Rezaee Vessal, enseignantes-chercheuses à l’EMLV, explorent le phénomène croissant des vêtements virtuels en NFT (jetons non fongibles), malgré les risques de spéculation. Comment les marques, y compris celles du secteur du luxe, abordent-elles cette tendance ? L’article met en lumière la manière dont les vêtements virtuels offrent une expérience immersive axée sur le divertissement, le social et la dimension communautaire plutôt que sur la spéculation, redéfinissant ainsi la notion de possession.
Un article publié par The Conversation en collaboration avec Catherine Lejealle, Sociologue, spécialiste du digital, enseignante-chercheuse, ISC Paris Business School et Sylvaine Castellano, Directrice de la recherche, EM Normandie.
Seriez-vous prêt à dépenser de l’argent pour des vêtements virtuels ?
En août 2020, le magazine américain Vogue titrait en couverture « Seriez-vous prêt à dépenser de l’argent pour des vêtements virtuels ? » en référence à une robe numérique vendue 699 dollars, portable uniquement en ligne. Trois ans plus tard, le constat est brutal : 95 % des NFT, les « jetons numériques » qui certifie l’authenticité d’un actif virtuel, ne valent plus rien.
La mode serait-elle en train de passer ? Le marché des NFT a été multiplié par 130 entre début 2020 et début 2021. Au-delà des vêtements virtuels, des « tokens » d’authentification ont été ajoutés à des morceaux de musique exclusifs, aux tatouages d’une joueuse de tennis, à des tweets ou même à la vidéo YouTube d’un enfant qui mord le doigt de son frère (vendue sous forme de NFT aux enchères en 2021 pour la somme de… 760 000 dollars).
Or, sur ce marché, de nombreuses arnaques attendent également les acheteurs : des NFT de sacs Hermès sont créés sans autorisation et des projets sont abandonnés une fois les fonds levés. En outre, des pratiques frauduleuses s’observent, telles que le « wash trading », qui désigne le comportement d’un investisseur qui vend et achète un NFT entre différents portefeuilles qu’il détient pour gonfler le prix et attirer des acheteurs.
Il faut dire que, sur ce marché, la spéculation bat son plein, les ventes s’envolent et retombent aussi rapidement. Le premier tweet de l’histoire, vendu en NFT pour près de 3 millions de dollars en 2021, n’en valait… plus que 23 quelques mois après.
Dans ce contexte, les marques, surtout de luxe, persistent néanmoins dans les projets NFT. Au-delà de l’intérêt financier, les vêtements virtuels mêlant art, mode et technologie redéfinissent en particulier la possession. À défaut de valeur monétaire spéculative, ces types de NFT continuent à séduire pour leurs valeurs hédoniques et sociales, comme le montrent nos récentes recherches.
Une robe vendue 9500 dollars
Boostés par la période pandémique, lorsqu’il était impossible d’arborer des tenues, les vêtements virtuels en NFT font fureur depuis. Ils s’affichent sur les profils Instagram, X et Facebook. The Fabricant par exemple est une maison de mode virtuelle qui crée des vêtements plutôt haut de gamme, à l’image de la robe Iridescence vendue 9 500 dollars. Mais des marques plus traditionnelles s’y sont mises, à l’image de l’équipementier sportif Nike, qui aurait déjà engendré plus de 185 millions de dollars de revenus grâce aux NFT.
Les marques de luxe se lancent également, attirées par l’unicité, la rareté, l’authentification et la personnalisation qu’apportent les NFT. La marque Gucci a même lancé une paire de baskets virtuelles pour un dollar ou encore un sac numérique qui se vendait en 2021 beaucoup plus cher que la version physique.
Notre dernier travail de recherche identifie le plaisir, la curiosité et l’interaction sociale parmi les trois motivations d’achat des consommateurs de vêtements virtuels. L’achat de vêtement virtuel se montre aux autres sur les réseaux sociaux : c’est bien un achat qui est pensé en vue d’interagir avec les pairs.
L’engouement des vêtements virtuels s’inscrit donc dans une vision expérientielle où le consommateur souhaite profiter du bien, en le portant et en interagissant avec d’autres consommateurs qui ont également franchi le pas de l’achat. La temporalité est l’immédiateté : le consommateur veut vivre l’expérience et n’entre pas dans une logique de stockage pour revendre dès que les cours auront grimpé.
Des NFT Zara
Toutefois, si l’achat de vêtements de luxe dans la réalité apporte un statut social, il est intéressant de noter que ce n’est pas le cas pour les vêtements virtuels de marques de luxe. Que la marque soit de luxe ou non, la curiosité, le plaisir et l’interaction sociale priment. Le vêtement virtuel apparait d’abord comme un soi étendu dans le monde virtuel pour affirmer son appartenance à une communauté.
C’est pourquoi le succès des vêtements NFT s’étend désormais à des marques moins prestigieuses. Une enseigne comme Zara a lancé une collection dans le métavers fin 2021. Quel que soit le niveau de gamme, la clé du succès dans le vêtement virtuel réside dans un usage non spéculatif, axé sur le divertissement, le social ainsi que sur le côté communautaire et artistique.
Les NFT artistiques peuvent ainsi être liés à un univers virtuel ou accompagner des produits physiques, comme les magnums Dom Pérignon désignés en collaboration avec la chanteuse Lady Gaga ou la voiture de course aux couleurs du whisky Kinahan dessinée par l’artiste Morisseta.
L’avenir des NFT repose en effet sans doute sur ces territoires qui mêlent réel et virtuel, jeu et communauté, art et exclusivité, avec des acheteurs cherchant à les consommer plutôt que de les considérer comme des investissements spéculatifs.
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