Michel Dalmas, enseignant en Ressources Humaines à l’EMLV et chercheur au De Vinci Business Groupe du De Vinci Research Center, s’interroge sur l’évolution des pratiques RH avec le digital.
Dans la lettre d’information de la Conférence des Grandes Écoles, Michel Dalmas publie un article concernant les nouvelles pratiques des Ressources Humaines, bouleversées par l’émergence du digital.
Les Nouvelles organisations redéfinissent le design des talents
Les technologies de l’information et de la communication (T.I.C) ont transformé par vagues successives les pratiques RH, pour en arriver à modifier de manière durable les structures, les processus et les styles managériaux des organisations contemporaines. Même si encore aujourd’hui la fonction Ressources Humaines reste, dans de nombreuses organisations, fidèle à la tradition bureaucratique des systèmes de gestion du XXème siècle, les outils collaboratifs changent de plus en plus la manière de travailler au sein des sociétés.
Le monde, converti en grande partie au format digital, traverse une période où le rapport au temps est revu à la baisse et l’espace de travail devient multipolaire. Ces changements profonds sont perçus par certains comme étant une opportunité permettant de créer des organisations plus flexibles et collaboratives et par d’autres, plutôt comme l’émergence d’une nouvelle génération de systèmes de contrôle.
Dans ce contexte, comment aboutir à plus de performance en délaissant les méthodes de contrôle et de déresponsabilisation héritées du taylorisme ? Comment les entreprises se sont elles adaptées à ces changements notables d’organisation du travail ? Chacun des modèles d’organisation présentés ici apporte une réponse différente, avec, à la clef, des orientations managériales différentes.
Le modèle des Organisations Agiles
Apparue à l’origine dans les années 90 aux États Unis, la notion d’Organisation Agile (O.A) vise à augmenter l’efficacité organisationnelle selon trois dimensions : une capacité de réponse rapide, une capacité de compréhension de l’environnement externe et une capacité d’apprentissage et d’adaptation aux changements. Les théoriciens de l’O.A constatent que très peu (voire aucune) des organisations étudiées n’ont montré toutes les caractéristiques de l’agilité, proposées dans le cadre de leur modèle. Ce modèle resterait donc un idéal à atteindre.
L’O.A présupposerait également une certaine capacité à attirer des talents possédant des compétences agiles (prédisposées à l’apprentissage et au changement) et des capacités à reconfigurer en permanence les processus, la structure et les systèmes d’informations, selon les besoins externes.
Selon Dejoux (2016), le manager agile devrait avoir des compétences numériques pour adapter son organisation à la vitesse des changements, une capacité d’expérimentation, de stimuler la formation de communautés collaboratives internes et externes et celle de transformer la culture, pour produire des résultats rapides, même sous forme de solutions « bricolées ». Cela présupposerait, en résumé, une culture de la coopération pour faire face à la complexité des solutions innovantes.
Le modèle des Entreprises Libérées
Les organisations dites libérées n’ont souvent pas d’organigramme, ni même d’espace de travail fixe. Elles n’ont pas de pointeuse, permettant aux salariés de contrôler leur propre temps de travail. Certaines n’ont pas de managers, de poste formel ou de gestion de ressources humaines. Isaac Getz (2009) postule ainsi que, derrière toutes ces pratiques, la clé pour rendre les organisations plus créatives et innovantes consiste à migrer d’une logique du « comment » vers une mentalité du « pourquoi ». Les leaders deviendraient ainsi des « libérateurs », capables de créer une culture “égalitaire”, accordant à chaque salarié la liberté de décider comment il pourra mieux contribuer à la vision stratégique de l’organisation. Ils stimulent la créativité et rechercheraient à développer la « culture du bonheur » ayant pour ambition de construire des entreprises en perpétuelle recherche de développement. La libération commencerait donc ici par la « dé bureaucratisation et la ré humanisation » des relations, faisant évoluer la culture d’une mentalité dite des ressources humaines vers celle de la co-création avec des êtres humains.
Les raisons pour libérer une entreprise ne seraient, pour autant, pas du tout altruistes : selon le rapport HOW (2012), les entreprises en mode d’auto-gouvernance auraient une performance en moyenne 20% supérieure à celles manageant son personnel selon un consentement informé et 50% supérieure aux entreprises demandant une obéissance aveugle de la part de ses salariés
Cette « nouvelle » expérience du partage des responsabilités tendrait actuellement à prendre de l’ampleur, si l’on en croit les observateurs du management, dans les P.M.E et les P.M.I de l’hexagone. D’autre exemples existent, tel que celui de la fonderie Favi, qui verra son schéma de production se transformer, basé désormais sur la confiance et impliquant la suppression pure et simple de ses pointeuses; c’est également le cas de l’entreprise Sew Usocom, spécialisée dans la fabrication de moteurs, génératrices et transformateurs électriques, qui associe ses salariés à la création de profits, cultivant une certaine forme de transparence sur des sujets autrefois tabous.
Pour résumer, il s’agirait avant tout d’une remise en question profonde du contrôle hiérarchique et de ses effets sur les employés.
On chercherait ainsi à développer la capacité d’écoute des dirigeants, à faire disparaître les symboles et les privilèges dus aux statuts, à faire oublier la notion d’horaires imposés, à développer le principe de subsidiarité pour les salariés, et la disparition des contrôles externes du fait de l’autonomie des salariés en la matière.
En termes de valeurs, quel est le message qui se cache derrière ces nouvelles pratiques ? Il s’agirait d’un « alliage » mêlant confiance, volontariat, autonomie dans le contrôle, liberté d’action et corrélativement, un droit à l’erreur.
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