Dans une tribune publiée sur le site Harvard Business Review, Peter Saba, responsable de la spécialisation Management des systèmes d’ information et des data à l’EMLV, détaille les effets d’un « vaccin digital » sur l’immunité aux fake news liées à la pandémie de Covid-19.
Dans sa chronique d’expert relayée par Harvard Business Review, Peter Saba explique les mécanismes d’acquisition d’une immunité digitale à la pandémie de fake-news autour du coronavirus.
La prolifération de fake news
Les événements tels que l’actuelle pandémie de Covid-19 sont un terrain fertile pour les fake news. Afin de lutter contre ce phénomène, gouvernements, experts et associations peuvent pratiquer « l’inoculation digitale » sur les réseaux sociaux, afin de sensibiliser la population et de la prémunir contre l’expansion d’un autre mal, tout aussi viral que le coronavirus : les fausses informations.
Depuis le début de l’épidémie de coronavirus, les rumeurs les plus folles circulent sur les réseaux sociaux : les lampes à UV protègeraient du virus, de même que l’urine d’enfant ou encore la consommation de cannabis. D’autres affirment que l’épidémie est le fruit d’une conspiration internationale des géants de l’industrie pharmaceutique, dont le seul objectif serait de vendre, à terme, leurs vaccins et leurs médicaments.
Certains pensent enfin que la contamination est liée au déploiement de la 5G à Wuhan quelques jours avant le début de la propagation du nouveau coronavirus. Comment expliquer une telle prolifération de fake news ?
Selon Jeremy Ghez, professeur d’économie et d’affaires internationales à HEC Paris, pour expliquer une situation complexe, on hésite souvent entre une théorie fondée sur « le complot » et une autre sur « la stupidité humaine ». « D’après mon expérience, relève-t-il, la seconde option est généralement plus pertinente que la première. »
Si bien que le directeur de l’Organisation mondiale de la santé, Tedros Adhanom Ghebreyesus, n’a pas hésité à parler « d’infodémie ». Ces fake news sont, à ses yeux, encore plus dangereuses que le virus lui-même. Pourquoi ? Tout simplement parce qu’elles empêchent de le combattre efficacement et font donc perdre un temps précieux.
C’est ce que confirme Bhaskar Chakravorti, doyen du département de commerce internationale à la Tufts University. Au cours des dix dernières années, ce professeur a analysé les effets du digital sur la santé et le développement économique. A ses yeux, la dynamique des fake news peut aggraver l’épidémie, en propageant de fausses solutions.
A l’ère du tout numérique, les réseaux sociaux jouent un rôle déterminant dans la diffusion des rumeurs et des fake news. Les leaders du marché, tels que Facebook, Twitter et WhatsApp, comptent aujourd’hui plusieurs milliards d’utilisateurs.
Les réseaux sociaux offrent une voix en ligne à tout le monde, souvent sans même avoir à prouver son identité. Les utilisateurs peuvent publier leurs pensées, leurs opinions et leurs idées via des communautés en ligne et trouver des caisses de résonance sans barrières. Or elles ne sont pas sans influence sur nos vies, nos croyances et nos actions.
Elles affectent la façon dont nous percevons le monde et peuvent jouer sur nos comportements. Et ce qui rend ce potentiel encore plus fort, c’est le fait que ces médias diffusent ces échos en temps réel. Une fois que la rumeur est partie, a fortiori en ligne, il est très difficile de l’arrêter. Aussi, comme pour freiner une épidémie, il s’agit de faire en sorte d’éviter la contamination des personnes présentes sur les réseaux.
Gérer la crise
Par conséquent, l’enjeu crucial pour les gouvernements, les institutions et les associations et même pour les organes de presse est de lutter efficacement contre les fake news, en intervenant directement sur les plateformes où circulent les rumeurs. Et pour cause, la désinformation autour du Covid-19 pourrait mettre la vie des individus en danger.
C’est précisément pour cela que le gouvernement français a décidé, fin février, alors que la crise prenait de l’ampleur, de réunir les succursales parisiennes des géants du web (Google, Facebook ou encore TikTok), afin de leur demander de mettre en place un plan pour lutter contre la propagation des fake news.
Moteurs de recherche et plateformes ont ainsi prévu des pages, des encarts ou des notifications dans le « feed » de leurs inscrits pour relayer les contenus émanant des autorités officielles, tout en assurant une veille pour détecter et signaler toute tentative de désinformation.
Mais comment contrecarrer les rumeurs ? En fournissant une argumentation simple et directe, capable de démentir la fake news – quitte à reprendre des éléments de la fausse information pour les désamorcer, grâce à la production d’une « contre-rumeur », y compris en amont d’une éventuelle exposition numérique à la rumeur.
L’exposition à ces « contre-rumeurs » réduit la croyance des utilisateurs du Web dans les fausses informations selon une étude publiée par des chercheurs en systèmes d’information à Singapour. Résultat : ils sont moins enclins à les repartager, ce qui contribue à freiner leur propagation.
La santé est un secteur où les fake news abondent tout particulièrement. Les experts dans ce domaine (médecins, scientifiques…) sont mobilisés pour tenter de les contrer, y compris hors période de crise.
À l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), les équipes ont notamment lancé une chaîne YouTube intitulée « Canal Détox » et, à l’AP-HP, un collège de médecins a créé la chaîne « PuMS », pour proposer une information fiable et anti-fake news.
Renforcer l’immunité digitale
Cette démarche est d’autant plus cruciale face aux fausses informations qui circulent sur la pandémie de Covid-19. Pour le docteur Mike Ryan, directeur exécutif du programme de l’OMS pour la gestion des situations d’urgence sanitaire, cela ne fait aucun doute : « Il nous faut un vaccin contre la désinformation. » Comment ?
Revenons ici sur le principe même de ce procédé médical. Vacciner, c’est introduire dans un organisme un microbe « affaibli », rendu inoffensif. Ainsi, il ne contamine pas, mais permet à notre système immunitaire de réagir en produisant les anticorps nécessaires pour le combattre. Et à la prochaine attaque – réelle, cette fois –, l’organisme sera prêt à résister.
C’est ce que l’on appelle la mémoire immunitaire. Il s’agit d’appliquer ce procédé à la psychologie des individus, à travers la technique de l’inoculation. Cette dernière a été développée en 1961 par William McGuire, universitaire et psychologue américain, en complément des travaux d’Arthur Lumsdaine et Irving Janis en 1953.
Si l’inoculation n’a été que peu testée dans le domaine de la propagation des rumeurs sur les réseaux sociaux, l’originalité de la méthode a su séduire les praticiens comme les chercheurs en psychologie ou en sociologie.
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